article
·
21 novembre 2023

Les idées reçues sur l’énergie et le climat

Lorsqu’on parle d’énergie et de climat, on est confronté à un florilège d’idées reçues qui suscitent souvent des réponses contradictoires. Avec cette FAQ, Carbone 4 cherche à éclairer le débat pour démêler le vrai du faux en proposant une approche scientifique et chiffrée pour chaque idée reçue. Ce volet, le premier d’une série qui aborde différents thèmes sur l’énergie, porte sur le lien entre l’énergie, et notamment l’utilisation de ressources fossiles, et le climat.

Petit point de méthode. Il existe de nombreuses unités pour parler d’énergie (ex : kilowatt-heure “kWh”, tonne équivalent pétrole “tep”, Joule “J”), utilisées par convention pour décrire certaines situations, par exemple les tep lorsqu’on parle de pétrole ou les kWh lorsqu’on parle d'électricité. Pour simplifier la lecture, et permettre la comparaison des ordres de grandeur dans les différentes parties, nous avons choisi d’utiliser systématiquement le TWh (1 milliard de kWh). Vous pourrez trouver un tableau de conversion des principales unités à la fin de cette publication.

Energie, gaz à effet de serre et population

1. L’utilisation d’énergie ne contribue au changement climatique que par la combustion d’énergies fossiles.

80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre associées à l’utilisation de l’énergie proviennent du CO2 dégagé dans l’atmosphère par la combustion d’énergies fossiles. C’est l’impact principal mais notre consommation d’énergie génère également d’autres types d’émissions de gaz à effet de serre.

Les émissions de méthane (CH4) représentent 10% des émissions liées à l’énergie. Elles sont notamment dues aux rejets dans les mines de charbon, les sites d’extraction de pétrole et de gaz fossile. Elles sont également émises lors de l’acheminement du gaz fossile, que ce soit par voie terrestre ou maritime. Plus marginalement à l’échelle mondiale, du méthane est émis par la biomasse (combustion incomplète du bois, fermentation au niveau des barrages).

Par ailleurs, certains procédés industriels émettent directement du CO2 comme la production de ciment ou de certains produits de l’industrie chimique. Ces émissions directes représentent 6% des émissions liées à l’utilisation d’énergie. Enfin d’autres sources d’émissions complètent le panorama : l’incinération des déchets, les émissions de protoxyde d’azote[1] ainsi que les émissions de CO2 dues au torchage[2] du gaz naturel.

Au final, l’utilisation d’énergie a généré 41,1 GtCO2e en 2021 soit 75% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre mondiales. 

2. L’énergie en France n’émet pas beaucoup de gaz à effet de serre grâce au nucléaire.

La France est le pays avec la plus grande part de nucléaire dans son mix électrique (69% en 2021). En ajoutant l’hydraulique (12%) et les autres énergies renouvelables (12%), l’électricité française est ainsi bas-carbone : 60 gCO2e/kWh contre ~550 gCO2e/kWh à l’échelle mondiale[3].

Cependant, l’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie finale consommée[4] en France. Comme dans tous les pays industrialisés, la majeure partie de l’énergie consommée est d’origine fossile : 40% de pétrole, principalement utilisé dans les transports, 20% de gaz fossile, servant notamment à produire de chaleur dans les bâtiments et l’industrie. Ces 2 types d’énergies affichent, respectivement, un contenu carbone de ~330 et ~230 gCO2e par kWh thermique. Ainsi, le mix énergétique au sens large reste relativement carboné en France, avec un contenu carbone moyen de ~200 gCO2e/kWh d’énergie finale. 

L’électricité bas-carbone française a néanmoins un impact significatif. A titre de comparaison, en Allemagne, avec un mix énergétique relativement similaire mais une électricité plus carbonée (~550 gCO2e par kWh électrique), le contenu carbone moyen de l’énergie finale consommée avoisine plutôt les ~300 gCO2e/kWh.

3. Si nous consommons trop d’énergie, cela est dû à une population trop importante.

La consommation mondiale d’énergie ne cesse d’augmenter. Certes, en 30 ans, elle a plus que doublé, mais cela s’explique d’une part parce que la population s'accroît mais aussi parce que la consommation moyenne d’énergie par habitant augmente. Mais l’analyse doit tenir compte du niveau de revenu des habitants des pays considérés.

Dans les pays riches, la consommation moyenne d’énergie par habitant est déjà très élevée. La croissance de la population a donc un impact très élevé sur le niveau de consommation énergétique mondial. 

En revanche, c’est plutôt l’augmentation de la consommation d’énergie par habitant qui explique l’accroissement de la consommation d’énergie dans les pays aux revenus moyens (ex : Chine, Inde). En effet, ces pays aspirent et réussissent à consommer de plus en plus d’énergie à l’image des pays riches, pour satisfaire de nombreux nouveaux usages : plus de voitures, plus de chauffage ou de climatisation dans de plus grands logements, plus d’électronique, plus de vêtements, etc.

Enfin, les pays aux revenus faibles n’ont que très peu d’impact sur l’évolution de la consommation d’énergie mondiale.

Derrière ces trois grandes segmentations, se cache une forte disparité : un Américain consomme en moyenne 2 fois plus d’énergie qu’un Français, et 11 fois plus qu’un Indien. 

Alors consommons-nous trop d’énergie parce que nous sommes trop nombreux ? La quantité actuelle d’énergie consommée pourrait satisfaire la consommation de 24 milliards d’Indiens mais seulement de 2 milliards d’Américains…

4. Au niveau mondial, ce sont aux pays les plus pollueurs d’agir en premier car la France ne pèse rien.

On entend souvent “La France c’est 1% des émissions ! Ce n’est donc pas à nous d’agir en premier !” mais est-ce aussi simple ?

Tout dépend de l’indicateur observé. Sans être exhaustif, voici 4 angles différents.

  • “Responsabilité d’une plaque géographique” : en 1980, l’Europe et les Etats-Unis représentaient ~65% des émissions annuelles mondiales[5], leur permettant ainsi de construire leurs infrastructures et leurs industries, encore utilisées aujourd’hui. En 2021, l’Asie (incluant la Chine et l’Inde) représente désormais ~60% des émissions annuelles mondiales. Quand bien même, la France a un impact à l’échelle européenne voire occidentale ; ce qui correspond à une part significative des émissions mondiales.
  • “Responsabilité historique” : la France a généré environ 2,5% du stock d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pour ~1% de la population mondiale actuelle, les Etats-Unis ~24% des GES historiques pour ~4% de la population mondiale actuelle, et la Chine ~14% des GES pour ~18% de la population mondiale actuelle. Un Français “bénéficie” ainsi de trois fois plus d’émissions historiques qu’un Chinois, et aurait donc une capacité plus élevée à agir (par exemple plus d’infrastructures disponibles par habitant).
  • “Contenu carbone du PIB” (vision production) : la Chine émet aujourd’hui sur son territoire 550 gCO2 pour un $ de PIB[6], c’est 281 gCO2 aux Etats-Unis. La France a l’impact le plus faible, avec 128 gCO2 / $ de PIB, et c’est logique car son économie est largement tertiarisée, et importe une grande partie de ses produits manufacturés pour sa consommation, “masquant” ainsi une partie de ses émissions dans les émissions d’autres pays.
  • “Emissions par surface occupée” : la France génère 707 tCO2e / km2, les USA, 600 et le Canada, 78. La France se retrouve ainsi très émettrice par rapport à la surface qu’elle occupe.

Allons plus loin, la France représente en effet 1% des émissions mondiales aujourd’hui. Le problème avec ce chiffre, ce n’est pas tant sa valeur mais l’utilisation qui en est faite. Quelle serait la part d’émissions qui justifierait une action urgente : 2%, 5%, 10% des émissions mondiales ? Tous les pays émettant moins de 2% représentent 45% des émissions mondiales[7], quel impact potentiel ! Autre analogie : la mine de charbon de Heidaigou, en Mongolie intérieure, relâcherait 2,7GtCO2 si exploitée jusqu’à épuisement. Pourtant, ses émissions annuelles représentent moins de 0,15% des émissions mondiales. Peut-on pour autant en conclure qu’il n’est pas nécessaire de fermer cette mine ou de poursuivre le développement des énergies bas carbone en Chine[8] ?

Plus largement, l’impact ou la responsabilité de la France ne se résume pas à une quantité d’émissions de gaz à effet de serre. La France aurait beaucoup à gagner à s’ériger en modèle : une résilience accrue (ex : plus d’indépendance énergétique), un avantage concurrentiel majeur (ex : plus de savoir-faire dans des industries d’avenir comme les pompes à chaleur ou les trains), un pouvoir géopolitique renforcé. Montrer le chemin permet également d’offrir une alternative crédible au modèle hyper consumériste extractiviste à bout de souffle.

Pour finir, il est aussi question d’éthique : face à un danger systémique et planétaire qui affecte en premier lieu les pays qui ont peu émis, il semble juste que les pays ayant contribué le plus au dérèglement climatique soient les plus exemplaires.

5. Il reste du temps pour parvenir à respecter une trajectoire de réchauffement mondial de 1,5°C.

L’objectif de limiter le réchauffement climatique mondial en dessous des 2°C d’ici 2100 (voire de se rapprocher de 1,5°C si possible) a été entériné lors de l’Accord de Paris. Mathématiquement, ces plafonds de température se traduisent par des quantités d’émissions de gaz à effet de serre (parfois appelées budgets) à ne pas dépasser pour respecter la température de réchauffement correspondante. 

Zoomons sur le principal gaz à effet de serre contribuant au réchauffement climatique, le CO2. Il provient en grande majorité de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) mais aussi du relâchement de processus industriels (ex : fabrication du ciment) et du changement d’usage des sols (ex : déforestation)[9]. On mesure très bien sa concentration dans l’atmosphère (416 ppm en 2021)[10].

D’après le GIEC, les budgets restants (à partir du 1er janvier 2020) pour limiter le réchauffement à 1,5°C et 2°C sont respectivement estimés à 500 GtCO2 et 1350 GtCO2 avec une probabilité de 50%[11] (400 GtCO2 et 1150 GtCO2 avec une probabilité de 67%)[12]. A titre de comparaison, environs 2400 GtCO2[13] ont été émis sur la période 1850 à 2019[14]. Notons que près de la moitié de ceCO2 (42%) a été émis depuis 1990[15], et qu’en 2020 et 2021, environs 40 GtCO2 ont été rejetés dans l’atmosphère par les activités humaines[16].

Alors est-ce qu’il nous reste encore du temps ? Au rythme actuel, 1,5°C serait atteint vers 2030 et 2°C vers 2050. Et la pénurie d’énergies fossiles ne nous arrêtera pas : les réserves prouvées d’énergies fossiles - avant tout composées de charbon - correspondent à plus de 3 000 GtCO2[17],soit près de 6 fois le budget autorisé pour respecter un réchauffement de 1,5°C[18], et plus de 2 fois le budget pour tenir 2°C.

Energies fossiles

6. Les énergies fossiles se font rares.

Les énergies fossiles représentaient plus 80% de la consommation d’énergie primaire mondiale en 2021[19]. Une telle dépendance amène à se poser la question de la quantité qu’il semble encore possible d’extraire.

Avant de répondre à cette question, rappelons la distinction majeure entre deux concepts importants : les flux et les stocks d’énergies fossiles. Les flux correspondent au volume annuel de production alors que les stocks représentent le volume total “disponible” sous terre. Pour simplifier[20], on peut dissocier les stocks en deux catégories : les ressources et les réserves. Dans le premier cas, il s’agit des volumes contenus dans le sous-sol terrestre alors que dans le second on parle de ce qui est récupérable dans les conditions techniques et économiques du moment.

Même s’il y a diverses incertitudes dans l’estimation des réserves[22], posons un ordre de grandeur avec les données de la revue statistique de BP de 2021[21]. Les réserves prouvées d’énergies fossiles seraient d’environ 9 millions de TWh pour le charbon, 3 millions de TWh pour le pétrole et 2 millions de TWh pour le gaz fossile. Au niveau actuel de consommation[23] de chaque énergie, les ressources prouvées permettraient alors de subvenir aux besoins de l’économie extractive pendant 139 ans pour le charbon, 54 ans pour le pétrole et 49 ans pour le gaz fossile. Gardons en tête que ces ressources sont concentrées à plus de 60% dans 5 pays, allant jusqu’à 75% pour le charbon.

Au prisme de la crise climatique, les énergies fossiles ne se font pas rares. Si nous brûlions toutes ces réserves prouvées, nous atteindrions très probablement un réchauffement supérieur à +6°C par rapport à 1850[24], soit bien plus que la limite maximale de 2°C fixée par l’Accord de Paris.

7. Les énergies renouvelables font reculer les énergies fossiles.

Les énergies renouvelables ne sont pas nouvelles. En réalité, avant le XIXème siècle, le mix énergétique mondial était presque à 100% renouvelable : moulins à eau et à vent, muscles humains et animaux, bateaux à voile, etc. La seule exception a pu être la biomasse, dont l’exploitation au-delà de sa capacité de renouvellement a engendré des dynamiques peu soutenables de déforestation.

A partir du XIXème siècle, la révolution industrielle s’est accompagnée d’une exploitation grandissante notamment des énergies fossiles (charbon, pétrole puis gaz naturel) mais aussi d’autres énergies (hydroélectricité et nucléaire au XXème siècle). Historiquement, chacune de ces énergies est venue s’ajouter aux précédentes, sans jamais les remplacer à l’échelle mondiale. Autrement dit, chaque révolution énergétique du point de vue de la production s’est accompagnée d’une augmentation de la demande en énergie par le développement et/ou la massification de nouveaux usages.

Les énergies renouvelables ne font pas exception à la règle : alors qu’elles ne cessent de monter en puissance (+18 EJ, soit +34% entre 2015 et 2021), les énergies fossiles ne diminuent pas pour autant. Pire, elles se sont développées à un rythme plus élevé que les renouvelables (+27 EJ, soit +6% entre 2015 et 2021). Le monde n’a jamais consommé autant d’énergies fossiles qu’aujourd’hui : leur part se maintient autour de 80% de la consommation d’énergie primaire depuis des décennies.

S’il est souhaitable que nos sociétés abandonnent les énergies fossiles au plus vite, il est illusoire de croire qu’elles seront remplacées spontanément par des énergies renouvelables en essor. D’autant plus que le potentiel de production des énergies renouvelables reste limité (quantité de métaux, de surfaces exploitables, etc.) et ne saurait couvrir la totalité des usages fossiles actuels. Si nous souhaitons voir advenir une véritable substitution des fossiles par les renouvelables, il semble indispensable d’encadrer la transition énergétique, en combinant :

  • avant toute chose des politiques ambitieuses de réduction de la consommation d’énergie par la sobriété et l’efficacité ;
  • puis une programmation de déclassement des énergies fossiles et de développement des énergies bas-carbone.

8. Le pic pétrolier géologique est connu avec exactitude.

L’atteinte du pic pétrolier[25] est un événement qui fait parler de lui depuis les années 50. A cette période, Marion King Hubbert, un géophysicien américain, présente ses travaux à l’American Petroleum Institute. Il modélise la courbe de production de pétrole américaine et met en évidence un maximum de production dans les années 70, qui fut effectivement observé. Toutefois, ce modèle se base sur la quantité de pétrole techniquement extractible à une date donnée, “les réserves”. Or, divers facteurs rendent leur estimation difficile à l’échelle mondiale

Du pétrole sous d’autres formes : les résultats d’Hubbert concernaient le pétrole américain dit “conventionnel” (se trouvant dans une roche réservoir, où il vient s’accumuler après avoir été créé dans une roche mère). Or, des pétroles non conventionnels sont désormais exploités, notamment les pétroles de schistes (qui ont très fortement cru aux Etats-Unis entre 2010 et 2019), les sables bitumineux (qu’on trouve au Canada) ou encore les pétroles extra-lourds. Dans le cas des pétroles de schiste par exemple, le calcul des réserves est bien plus compliqué car le pétrole est emprisonné de façon diffuse et irrégulière dans une roche mère couvrant une vaste superficie, contrairement à un réservoir plus facile à qualifier.

  1. Des choux et des carottes : si on définit le pétrole comme étant liquide à température ambiante, certaines statistiques intègrent une part gazeuse (appelée “liquides de gaz” car extraits avec le gaz) comme le butane ou le propane. Aussi, tous les pétroles ne se valent pas : il devient en moyenne de plus en plus léger, avec une réduction progressive de son contenu énergétique. Autrement dit, on retire en moyenne moins d’énergie d’un baril venant des nouveaux gisements que d’un baril venant d’un gisement historique de Mer du Nord par exemple (le pétrole de schiste est parfois appelé “light tight oil” ou LTO par les pétroliers notamment parce qu’il est plus “léger” que le pétrole conventionnel).
  2. Différents types de réserves utilisées : pour commencer, les réserves “prouvées” correspondent à ce qui peut se récupérer de manière quasi-certaine (>90%) récupéré au vu des conditions technico-économiques existantes. Ce sont les seules publiques, mais elles sont sujettes à débat sur leur fiabilité (voir ci-dessous). Ensuite, les réserves “prouvées + probables” intègrent une partie de ce qui est moins probable (>50%) d’être récupéré, et enfin, les réserves “prouvées + probables + possibles” intègrent quasiment tout le reste (>10% de probabilité). Ces deux dernières ne sont pas publiques.
  3. Des estimations dépendantes de la géopolitique : l’estimation des réserves est basée sur les déclarations unilatérales des pays ou des entreprises qui les détiennent. Même si la déclaration des entreprises internationales cotées (ex : Shell) est auditée, elles représentent moins de 20% des réserves. Le gros des réserves appartient donc à des compagnies étatiques généralement peu transparentes. Par ailleurs, les pays de l’OPEP définissent des quotas de production proportionnels à leurs réserves. Ils ont donc un intérêt à les surestimer s’ils veulent vendre plus de pétrole. A ce titre, on observe des augmentations brutales et inexpliquées des réserves certaines années, ou encore l’absence de diminution de ces réserves malgré l’extraction de plusieurs milliards de barils.
  4. Du pétrole “techniquement extractible” : c’est la définition des réserves de pétrole, définition qui fluctue donc au gré de l’amélioration des techniques d’extraction et de l’évolution des cours du pétrole.

Pour toutes ces raisons, il reste incertain d’estimer les réserves et le pic de production associé.

A date, le maximum de la production annuelle mondiale a été observé en 2018 après une lente progression de 2% par an depuis 1990 [26]. La production s’est ensuite stabilisée en 2019 avant de chuter en 2020 lors de la pandémie de COVID-19. Elle est en train de retrouver en 2022 un niveau proche de celui de 2018. Dans le futur, selon Rystad ou l’AIE[27], cette production pourrait continuer à progresser pour atteindre un pic pétrolier dans la décennie 2030-2040, mais les positions des différentes institutions internationales ne convergent pas sur le moment exact. De plus, les aléas sanitaires, géopolitiques et climatiques que nous avons récemment subis, et que nous subirons plus fortement demain rendent cette estimation nécessairement plus incertaine.

Au fond, quelle que soit sa date exacte, l’Europe consomme déjà de moins en moins de pétrole depuis plus de 10 ans[28]. Il serait peut-être temps de planifier proactivement notre sortie des énergies fossiles plutôt que de la subir.

9. Le pic pétrolier laisse penser qu’on manque de pétrole, et plus largement d’énergies fossiles.

La décroissance de la consommation de pétrole pour l’Europe est déjà une réalité, même si nous n’avons pas de politique climat, et elle se profile bientôt pour le globe dans tous les cas de figure.

En réalité, la question critique n’est pas la date du maximum de production mais le rythme de la baisse qui s’ensuit. Aurons-nous une décrue subie et volatile ou une décrue planifiée ?

D’un côté, le risque de pénurie ne viendra pas d’un manque géologique de pétrole mais avant tout de raisons climatiques, géopolitiques et économiques. La France et plus largement l’Europe, souffre de son excès de consommation de pétrole :

  • Climat : continuer à brûler autant d’énergies fossiles qu’aujourd’hui nous conduira à dépasser les 2°C de réchauffement climatique avant 2035[29], limite à partir de laquelle les impacts climatiques seront alors irréversibles et très probablement non maîtrisables pour nos économies. Et il y a bien assez d’énergies fossiles dans le sous-sol pour y parvenir[30].
  • Géopolitique : le pétrole (comme le gaz et le charbon) provient en majorité de pays lointains dont les régimes sont peu démocratiques. Cette dépendance à des partenaires instables nous expose aux aléas de la scène internationale, à l’image des chocs pétroliers des années 70.
  • Économique : corollaire de notre dépendance, la France a acheté pour environ 100 milliards d’euros d’énergies fossiles en 2022. C’est autant d’argent qui mine le pouvoir d’achat des Français, et qui grève la balance commerciale de l’Etat.

De l’autre côté, planifier la décarbonation de notre économie contribue à réduire la demande en pétrole, potentiellement plus vite que la baisse de l’offre, notamment si tous les types de leviers sont activés (sobriété, efficacité et énergie bas-carbone). Zoomons sur les transports routiers qui consomment environ la moitié du pétrole. Se déplacer plutôt en vélo ou en train, conduire moins vite avec une voiture plus petite ou encore électrifier les moteurs sont autant de moyens pour réduire notre dépendance. Sur ce dernier levier, le coup est parti. L’interdiction de ventes de voitures neuves thermiques en Europe ayant été actée pour 2035[31], les ventes de voitures électriques s’envolent. En 2022, elles représentaient en France 13% des ventes alors que ce n’était que 2% en 2019[32].

Dans tous ces scénarios possibles, personne ne sait prédire les conséquences sur les prix du pétrole mais il est une certitude dans toutes ces incertitudes. Consommer moins de pétrole rendra la France et l’Europe plus résilientes sur les plans climatiques, géopolitiques et économiques.

10. L’Union européenne importe 100% de sa consommation en énergies fossiles.

L’Union européenne (UE) importe en effet la majeure partie des énergies fossiles qu’elle consomme

Commençons avec le pétrole, énergie reine des transports[33] et la plus consommée en UE. Son approvisionnement en Europe est satisfait à environ 90% par des importations, qui provenaient en premier lieu de Russie en 2022. Par ailleurs, l’UE extrait un peu de pétrole en Italie, en Roumanie, au Danemark et en Allemagne[34].

Pour le gaz fossile, l’UE dépend également à 90% d’importations en 2022[35], la production domestique étant localisée surtout aux Pays-Bas et en Roumanie[36]. Avant la guerre en Ukraine, 44% des importations de gaz de l’UE provenaient de Russie (par gazoduc ou sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par bateau), les principaux autres pays fournisseurs étant la Norvège et l’Algérie (par gazoduc et sous forme de GNL) ainsi que les Etats-Unis et le Qatar (uniquement sous forme de GNL). Courant 2022, la part de gaz russe est descendue à 15% au profit de la Norvège et des Etats-Unis. Ce n’est pas anodin pour le climat car les émissions amont (extraction et transport) du GNL américain sont plus carbonées que celles du gaz acheminé par gazoduc[37].

Et pour finir, le charbon comptait pour environ 30% d’importations de l’UE en 2022. Même si l’indépendance est plus forte que pour les deux autres énergies fossiles, il faut la relativiser car cette énergie représente moins de 20% de toute l’énergie fossile consommée en Europe. Elle sert majoritairement à la production électrique dans quelques pays comme la Pologne, la Grèce, l’Allemagne ou la République tchèque, et plus largement dans l’industrie (de l’acier notamment). A l’image du gaz fossile, les sanctions européennes suite à la guerre en Ukraine ont contribué à réduire la part russe dans les importations de charbon de 50% en 2021 à 20 % en 2022. Baisse compensée par plus d’importations des Etats-Unis, d’Australie, de Colombie et d’Afrique du Sud. A noter que la production domestique de charbon[38], s’élevant à 300 Mt en 2022, est principalement localisée en Allemagne avec 110 Mt de lignite et en Pologne avec 55 Mt de houille[39]. 

11. Le charbon est une énergie du passé.

Le charbon est une énergie fossile sous forme solide qui nécessite moins de transformation que le pétrole ou que le gaz fossile pour son utilisation. Cet état solide lui permet également d’être facilement stockable mais moins facilement transportable; le charbon est donc utilisé majoritairement dans la région où il est extrait, et souvent pour produire de l’électricité.

Le charbon étant l’énergie fossile émettant le plus de gaz à effet de serre pour une même quantité d’énergie fournie, les scénarios prospectifs de décarbonation réduisent drastiquement sa production : -70% entre 2010 et 2050 au niveau mondial dans le scénario 1,7°C de l’AIE[40] à titre illustratif.

Et pourtant, la tendance actuelle est très différente. En 2020, la production mondiale de charbon n’a pas diminué mais a augmenté de 4% par rapport à 2010. 

La Chine est souvent désignée comme la principale responsable de cette croissance, et en effet, sa consommation de charbon augmente encore aujourd’hui[41] contrairement aux pays de l'OCDE. Néanmoins, cette augmentation sert en partie à produire d'innombrables biens de consommation à destination des pays de l'OCDE. Autrement dit, les Français consomment du charbon de façon indirecte dans tous les produits "made in China". Cela se reflète dans l’empreinte carbone des ménages[42].

Par ailleurs, parmi les pays de l'OCDE, les situations sont très différentes pour la consommation directe sur le territoire. Par exemple, la France en consomme très peu car elle a épuisé ses principales mines quand la Pologne en a encore près de la moitié dans son mix énergétique[43].

Et pour demain ? En 2022, au niveau mondial, une capacité de 45 GW de centrales électriques à charbon a été mise en service pour une fermeture de seulement 25 GW. Alors que pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, il ne faudrait plus construire de nouvelles centrales et même fermer une partie des existantes avant leur fin de vie économique, 350 GW sont encore en projet dans le monde début 2023, avec 70% de ces projets localisés en Chine[44]. Le charbon est donc, malheureusement pour le climat, loin d’être une énergie du passé.

12. Le gaz fossile est une énergie de transition.

Le gaz fossile permettrait à nos sociétés de transitionner du pétrole et du charbon vers les énergies bas-carbone.

Tout d’abord, cette « transition » n’en est pas une à ce jour puisque le gaz fossile est utilisé massivement depuis 50 ans et ne se substitue pas à la consommation de pétrole et de charbon ; leur consommation croît tout comme celle du gaz. Entre 1971 et 2019, +180% de gaz fossile, +100% de pétrole et +50% de charbon consommés[45].

De plus, le gaz fossile est certes moins émissif que le pétrole et le charbon mais reste très carboné par rapport aux alternatives bas-carbone. Pour la production d’électricité, l’utilisation de gaz fossile est au moins 10 à 40 fois plus carbonée que le solaire, l’éolien ou le nucléaire. Pour la production de chaleur, c’est 5 à 20 fois plus d’émissions que les pompes à chaleur, le biogaz ou le solaire thermique.

Pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, et donc préserver une planète habitable, toutes les énergies fossiles doivent voir leur consommation décliner très vite. Concernant le gaz fossile en Europe, cette baisse doit être de l’ordre de -50% à -65% d’ici 2030[46]. Au-delà du climat, rappelons que le recours au gaz fossile maintient notre dépendance aux pays exportateurs, alors que la transition énergétique (sobriété, efficacité, énergie bas-carbone) vise le contraire, en renforçant notre indépendance.

 

----------


Energie