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16 novembre 2021
Auteurs et autrices : Marion Subtil

Fit for 55, le bond en avant de la Commission Européenne, à la hauteur des ambitions ?

En juillet dernier, la Commission Européenne a proposé un nouveau Paquet Climat, intitulé "Fit for 55", avec pour objectif d'adapter les politiques de l’UE en vue d’atteindre -55% d’émissions de gaz à effet de serre en 2030, puis un solde d’émissions net nul d’ici à 2050 (objectif du « Green Deal »). Au cœur de ce corpus de propositions réglementaires, les transports sont évidemment ciblés. A l’inverse des autres secteurs, les émissions des transports ont augmenté régulièrement, faisant du transport le second secteur le plus émissif de l’UE, après la production d’électricité. A ce stade, ce ne sont que des propositions et toutes ne seront pas adoptées par le Parlement et le Conseil Européen, mais elles sont révélatrices des tendances réglementaires qui vont voir le jour en UE à plus ou moins brève échéance.

Évolution des émissions de gaz à effet de serre par secteur dans l’Union européenne
Source : European Environment Agency, 2019

Voici une synthèse des principales implications pour le secteur du transport.

L’essentiel sur le transport maritime : introduction de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’une obligation d’utiliser des carburants moins carbonés

  • Dans le cadre de l’ETS (système d’échange de quotas d’émission de l’UE), les compagnies maritimes devront payer des droits à émettre pour l’intégralité des émissions entre ports européens et pour la moitié des émissions pour les voyages vers ou depuis des ports extra-européens, sans disposer de quotas gratuits [1].
  • Un objectif d’intensité carbone de l’énergie, prenant en compte l’amont des combustibles, pour les navires faisant escales dans les ports européens sera introduit et progressif – de -2% en 2025 à -75% en 2050 par rapport à 2020 [2].

Analyse C4 : 

  • La majorité des émissions des plus grands transporteurs de conteneurs étant produites lors des voyages internationaux, inclure les voyages vers ou depuis des ports extra-européens constitue un grand pas en avant.
  • La Commission pourrait aller encore plus loin en assurant un fléchage des revenus de l’ETS vers des investissements œuvrant pour la décarbonation du transport maritime (dans les énergies alternatives par exemple).
  • Elle pourrait également proposer des mesures qui encouragent les opérateurs du marché à investir dans des navires à faibles émissions, ce qui n’est pas le cas des mesures proposées dans ce Paquet, ainsi que des instruments de soutien spécifique au développement des électrocarburants, du bioGNL ou des biocarburants liquides avancés. Pour parvenir aux objectifs en intensité envisagés les opérateurs adopteront probablement du gaz fossile (pour les navires dotés d'une propulsion bi-carburant au GNL), ce qui ralentira fortement la décarbonation du secteur [3].

 

L’essentiel sur le transport aérien : suppression des quotas d’émissions gratuites, taxation plus forte des émissions fossiles et obligation d’utiliser des carburants moins carbonés

  • Dans le cadre du système ETS, le nouveau Paquet Climat propose une accélération de la réduction des quotas en passant à -4,2% par an à partir de 2023 (contre -2,1% auparavant) et la suppression des quotas gratuits pour les vols intra-européens à horizon 2027.
  • Exempté jusqu’à ce jour de taxe sur le kérosène, une taxation progressive est proposée sur les vols intra-européens à un taux minimum de 38 c€/litre à partir de 2033 pour les vols commerciaux, et 2023 pour l’aviation privée (affaires ou loisirs) [4].
  • Enfin, un mandat d’incorporation obligatoire de SAF (biocarburants avancés et e-kérosène) dans les aéroports européens est suggéré, augmentant graduellement de 2 % en 2025 à 63 % en 2050 [4]. Il prévoit d’exclure les biocarburants à base de cultures (1ère génération).

Analyse C4 : 

  • L’ensemble de ces mesures va dans le bon sens puisqu’elles traduisent mieux l’externalité CO2 dans les coûts du transport aérien et encouragent le développement d’alternatives énergétiques bas carbone.
  • Cependant, les vols extra-européens, représentant plus de 60% des émissions, ne sont toujours pas pris en compte (ils ne seraient concernés que par le système international de l'OACI – CORSIA – très peu contraignant) [5]. D’autre part, les émissions autres que le CO2 (traînées de condensation et cirrus induits, cf notre article à ce sujet) représentant la moitié à deux tiers de l'impact de l'aviation sur le climat [6] ne sont pas abordées dans la proposition.
  • Enfin, la date de mise en place de la fiscalité sur le kérosène pour les vols commerciaux reste très lointaine.

 

L’essentiel sur les carburants : augmentation des objectifs d'utilisation de carburants alternatifs renouvelables

  • Le nouveau Paquet Climat propose de passer d’un objectif en part d’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie du secteur d’au moins 14% à un objectif de réduction de l’intensité carbone de 13% d’ici 2030, par rapport à un niveau d’émissions de référence des combustibles fossiles [7]. L’objectif ne couvrerait plus uniquement les transport routiers et ferroviaires mais l’ensemble des transports [8].
  • La proposition propose de diminuer le sous-objectif sur les biocarburants avancés à partir de déchets/résidus de 3,5% à 2,2% en 2030 [7] mais aussi de supprimer les multiplicateurs (sur biocarburants avancés, les huiles usagées…), ce qui rend finalement le nouveau sous-objectif plus ambitieux [8].
  • Pour la première fois, la Commission Européenne introduit un objectif pour la fourniture d'électrocarburants « verts » (hydrogène et e-carburants), à 2,6% pour ce même horizon [7].
  • Des objectifs sont également proposés quant à l’installation de bornes de recharge électrique, à partir de 2025, et à hydrogène, à partir de 2030, le long des principales connexions entre villes européennes [8].

Analyse C4 : 

  • Le nouvel objectif est ambitieux puisqu’il permettrait de faire passer la part d’énergie alternative dans le transport routier à plus de 20% en 2030 [9] (contre 14% précédemment).
  • En revanche, le sous-objectif visant à introduire des électrocarburants « verts » questionne car des alternatives électriques à batterie plus efficaces sont déjà disponibles. Il pourrait créer une concurrence directe avec les secteurs aéronautique et maritime, plus difficiles à décarboner, pour lesquels les électrocarburants semblent plus pertinents.
  • Enfin, la Commission aurait pu aller plus loin en éliminant le soja de la liste des matières permettant d’atteindre les objectifs [9]. Cela n’empêchera pas certains pays comme la France, l’Allemagne et la Suède d’y mettre fin avant 2030, s’ils le souhaitent.

 

L’essentiel sur le transport routier : introduction de quotas d’émissions et renforcement des normes d'émission de CO2 pour les véhicules légers

  • La Commission propose d’inclure le secteur du transport routier (a priori du VP au PL) dans le système d’échange de quotas d’émissions à partir de 2026, en vue de réduire les émissions de 43 % en 2030 par rapport à 2005 [1].
  • La Commission souhaite également augmenter l’objectif de réduction des émissions de CO2 à -55% pour les voitures neuves (contre -37,5% actuellement) et à -50 % pour les VUL neufs (contre -31% actuellement) d’ici 2030 par rapport à 2021, et de passer à 100 % voitures et véhicules utilitaires légers neufs « zéro émissions » à partir de 2035 [10].
  • Cette proposition prévoit également de supprimer le crédit ZLEV (Zero and Low Emission Vehicle, destiné à favoriser les véhicules 100% électriques et hybrides rechargeables dans le calcul des émissions moyennes des constructeurs) à partir de 2030.

Analyse C4 : 

  • L’objectif de passer au tout électrique à partir de 2035 est très ambitieux, et démontre la volonté de la Commission de pousser l'industrie européenne à dominer le nouveau marché mondial des véhicules électriques.
  • La suppression du crédit ZLEV est une bonne nouvelle puisqu’il récompense de manière disproportionnée les véhicules hybrides rechargeables (PHEV) dont les émissions sont plus de 3 fois plus importantes en conduite réelle que lors des tests d'homologation WLTP (cf notre précédent article pour plus de détails). En revanche l’échéance du dispositif, prévue à 2030, reste lointaine et l'objectif intermédiaire de réduction CO2 des voitures et VUL reste inchangé pour 2025 (-15 % d’émissions de CO2 par rapport à 2021), ce qui n’incite pas à accélérer la transition à court terme.

 

Conclusions

 

Avec le paquet "Fit for 55", la Commission Européenne propose de commencer à traduire l'objectif de neutralité climatique en mesures concrètes. Les propositions sont ambitieuses : la Commission prévoit non seulement d’interdire la vente de véhicules thermiques à horizon 2035 mais aussi de s’attaquer tangiblement aux émissions des vols intra-européens et du fret maritime dont les politiques climatiques actuelles sont très insuffisantes. Plus largement, des taux de réduction de l’intensité carbone des carburants sont envisagés pour l’ensemble des transports. On pourra déplorer néanmoins que le transport ferroviaire ne soit pas spécifiquement mentionné dans les propositions. Ce secteur est certes déjà aligné avec les ambitions du Green Deal, mais il ne faut pas perdre vue qu’il joue une rôle clé dans la décarbonation du secteur via le report modal. 

Le défi consiste maintenant à faire approuver ces mesures par le Conseil et le Parlement car le débat s'annonce musclé. Le Paquet climat en sortira-t-il indemne ?


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