article
·
7 novembre 2019

Désolé les enfants, je voulais avoir la plus grosse...

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant.

Par Célia Foulon - Consultante

Désolé les enfants, j’ai entravé votre droit à un air pur, à une planète en bonne santé et à une vie digne, parce que vraiment, il me fallait la plus grosse. Oui, la plus grosse voiture. Plus grosse que celle du voisin. Pas terrible comme excuse, non ? Et pourtant, c’est ce qu’une grande majorité d’entre nous pourrait avoir à avouer à ses enfants dans les années à venir.

Mais en quoi posséder une grosse voiture (au hasard, un SUV) est-il mauvais pour l’environnement ?

Tout d’abord, c’est une évidence, mais une grosse voiture pèse plus lourd qu’une citadine bien entendu, mais aussi plus lourd qu’une berline familiale de type VW Golf. Dans la grande majorité des cas, un SUV pèse plus de 1,5 tonnes (et jusqu’à 2,5 tonnes pour le Porsche Cayenne), contre environ 1,3 tonnes pour des berlines familiales de type VW Golf VI (jusqu’en 2018). [1] [2] De surcroît, les SUV étant hauts et massifs, ils ne sont pas du tout aérodynamiques. Deux paramètres qui entrainent une surconsommation par rapport à une voiture plus légère et mieux profilée. Qui dit surconsommation de carburant dit surémission de gaz à effet de serre. D’après l’ICCT [1], en 2017 les SUV émettaient en moyenne 130gCO2/km (les voitures sportives et de luxe : 165gCO2/km !), contre environ 110gCO2/km pour les plus petites voitures. Et encore selon le protocole NEDC désormais relégué aux oubliettes car pas du tout représentatif des conditions réelles d’utilisation : rajoutez entre 25 et 40% à ces chiffres pour retrouver vos petits. L’électrique n’échappe pas à ce raisonnement, car une voiture plus légère est toujours plus vertueuse ! En effet, une voiture électrique légère nécessite moins de matériaux, moins de puissance, moins de consommation énergétique et donc une batterie de plus faible capacité utilisant moins de lithium et de cobalt. L’électrique sera toujours plus vertueux s’il est utilisé sur des voitures aussi légères que possible. Mentionnons aussi la surface au sol importante qu’occupent les SUV, ce qui constitue une nuisance forte en zone urbanisée. Servant quasi exclusivement au déplacement d’une seule personne (2 tonnes nécessaires pour déplacer 75 kg, hum hum), les grosses voitures telles les SUV occupent un espace considérable sur la chaussée, débordent des places de parking sur les trottoirs ou sur les pistes cyclables, font peur aux piétons, aux cyclistes, intimident les conducteurs de petits véhicules et empêchent par leur largeur les scooters ou les vélos de s’échapper des embouteillages. Aujourd’hui, comme le souligne l’ICCT dans ses rapports annuels sur le marché automobile [1] [2], les SUV représentent environ un tiers des ventes de véhicules neufs en Europe (et 6 fois plus qu’il y a 15 ans seulement), et quasiment 70% des ventes aux États-Unis. Malgré les impressionnants progrès techniques réalisés par les constructeurs pour réduire les émissions des véhicules, l’augmentation du poids des voitures empêche la réduction des émissions de CO2 du secteur automobile. Mais pourquoi le SUV connait-il un tel succès ? Depuis toujours, comme on peut le voir à travers les publicités, les voitures sont le reflet de la réussite sociale ; pour les hommes en particulier, elles sont l’expression même de la puissance et de la virilité. Hors de question donc d’avoir une petite voiture ou disons une voiture de taille raisonnable : sur la route, il faudrait montrer sa force, « diriger », être « un mâle dominant » (ces mots sont directement tirés de la publicité récente pour le SUV BMW X6). [4] Le marketing nous le martèle depuis des années, avoir une grosse voiture, c’est être un homme fort, qui a réussi socialement. Pas étonnant que les SUV et autres grosses voitures aient la côte aujourd’hui, particulièrement auprès des hommes (80% des conducteurs de SUV sont des individus masculins). [5] 

C’est donc tout l’imaginaire social qu’il faut réinventer. Peut-on collectivement se mettre d’accord qu’avoir une grosse voiture n’est pas signe de réussite sociale et de puissance mais plutôt d’égoïsme et de destruction de l’avenir ? Peut-on valoriser par exemple les cadres qui abandonnent leurs grosses voitures malgré leur rôle de représentation, pour choisir des voitures plus petites (voire des vélos, rêvons un peu !) ? Peut-on demander aux industriels du secteur d’arrêter de polluer notre cerveau et nos envies avec des publicités valorisant systématiquement les grosses voitures ? Et peut-être aussi et avant tout, en tant qu’automobiliste, homme ou femme, peut-on, face à un choix de consommation comme l’acquisition d’une voiture, arrêter de considérer deux choses : 

  • que le choix doit nécessairement être dicté par le cas le plus « dimensionnant », à savoir les départs en vacances avec enfants et bagages, alors que cela représente en général moins de 10% de l’usage annuel ;
  • qu’une berline compacte (de type VW Golf ou Peugeot 308 ou Renault Mégane) est trop petite et ne suffit plus à satisfaire les « besoins » d’une famille : était-on moins gros il y a 30 ans quand ces voitures suffisaient parfaitement à répondre à ce besoin, alors même qu’elles étaient 15% moins larges et 40% plus légères qu’aujourd’hui ?

Des propositions de lois ont été faites mais n’ont pas été acceptées à ce stade, notamment pour interdire les publicités relatives aux SUV (notamment les SUV qualifiés « d’urbains », ce qui est quand même la pire idiotie qu’on puisse proférer sur le sujet), ou bien pour définir un malus en rapport avec la masse du véhicule acheté. [6][7] En tout cas, la prise de conscience et les réglementations sont bien trop lentes au regard de l’urgence climatique. Gardons en tête qu’une voiture a une durée de vie d’une dizaine d’années : les SUV mis sur le marché aujourd’hui nous embarquent donc sur une trajectoire non souhaitable pour les 10 années à venir !

Alors, si vous achetez une voiture neuve, pensez à vous, pensez à vos enfants, pensez aux piétons, aux cyclistes et aux autres usagers de la route : choisissez une voiture légère. Et soyez en fier.e.s ! Article rédigé par Célia Foulon - Consultante 

 

Sources :[1] ICCT, European Vehicle Market Statistics (2018/19) [2] France Stratégie [3] Crashing the climate [4] Publicité pour la BMW X6 [5] (Excellent) Podcast « Des hommes et des bagnoles » [6] L’enerGeek [7] Nextinpact Illustration : Vidberg En supplément : un article de The Guardian expliquant pourquoi les SUV sont plus dangereux que les petites voitures, à la fois pour les conducteurs et pour les piétons : The Guardian


Mobilité
automobile