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décembre 2021

La stratégie d’entreprise à l’heure de l’urgence climatique : les vieilles recettes peuvent-elles (encore) suffire ?

Auteurs et autrices : Antoine Crépel, Vincent Lorich
Contributeurs & contributrices : Jean-Marc Jancovici, Hughes-Marie Aulanier, Alexandre Joly

Résumé exécutif

Contexte et objet de la publication

Constat : un monde de plus en plus incertain, avec des risques environnementaux majeurs et systémiques

Aujourd’hui, 5 limites planétaires sont déjà dépassées ou sont sur le point de l’être[1] :

  • Le changement climatique
  • La perte de la biodiversité
  • Le changement d’affectation des sols
  • La perturbation du cycle de l’azote
  • La perturbation du cycle du phosphore

Les impacts de ces dépassements, bien que largement documentés, restent trop peu pris en compte par les décideurs politiques et économiques, ces derniers considérant qu’ils n’ont pas de lien avec l’avenir des systèmes dont ils ont la charge. Or, ces dépassements constituent des risques systémiques majeurs pour l’environnement économique des entreprises.

Les limites de la stratégie d’entreprise actuelle pour répondre à ces enjeux

Éprouvées depuis plusieurs décennies, les approches « classiques » de la stratégie d’entreprise sont largement diffusées dans les directions d’entreprises. Cependant, face aux risques environnementaux et transformations systémiques à venir, ces approches souffrent de limites intrinsèques.

Ainsi, il est nécessaire dans le contexte actuel de dépasser la seule approche « prédictive », qui utilise souvent des hypothèses de relative linéarité et raisonne « toutes choses égales par ailleurs ». Les réflexions stratégiques doivent aussi se bâtir sur une vision long terme, tenant compte des contraintes physiques et utilisant un raisonnement systémique, qui est indispensable à la compréhension des transformations socio-économiques à venir.

Un outil au service de la stratégie d’entreprise : l’analyse par scénario de Carbone 4

L’analyse par scénario est un outil puissant pour dépasser les limites de la stratégie d’entreprise actuelle.

L’analyse par scénario est une méthode de prospective qui consiste à envisager des futurs possibles et à explorer les conséquences potentielles pour le modèle d’affaire de l’entreprise, en vue d’alimenter le processus de réflexion stratégique et d’éclairer l’action.

Ainsi il ne s’agit pas de prédire l’avenir, mais plutôt d’anticiper des évolutions possibles afin de s’y préparer.

Cette approche est celle recommandée par la TCFD (Task force on climate-related financial disclosures) dans son rapport final[2].

L’analyse par scénario de Carbone 4 comporte 4 étapes principales permettant d’aboutir à l’analyse des risques et des opportunités pour le modèle d’affaire d’une entreprise dans le contexte de la transition bas-carbone.

La troisième étape est le cœur quantitatif de l’analyse. Elle consiste à quantifier l’évolution de l’activité de l’entreprise sous contrainte carbone, dans chacun des scénarios élaborés à la première étape.

Par illustrer cet exercice, nous avons élaboré une étude de cas sur une entreprise de construction de logements en Europe. La combinaison des analyses d’évolution de la demande et de l’offre sous contrainte carbone donne les évolutions de marché suivantes :

L’analyse par scénario met donc en évidence des transformations de marché profondes. Il est clé d’analyser ensuite la vulnérabilité de l’entreprise vis-à-vis de ces évolutions, et les opportunités de diversification de l’activité.

A retrouver dans notre publication :

  • Une brève revue de la situation environnementale actuelle, et la manière dont cela affecte les activités économiques
  • Une analyse détaillée des limites de la stratégie d’entreprise actuelle et de l’intérêt d’une mise en œuvre rigoureuse de l’analyse par scénario
  • Une description de la méthodologie Carbone 4 d’analyse par scénario
  • Une synthèse des bénéfices de l’analyse par scénario que nous avons constatés lors de nos projets, illustrée de retours d’expériences clients

Introduction

Les scientifiques nous le rappellent régulièrement, et à nouveau cet été à l’occasion de la publication du 6è Assessment Report par le GIEC : la crise écologique et le réchauffement climatique embarquent un risque systémique majeur pour nos sociétés. Ces risques, malheureusement, se matérialisent de manière de plus en plus concrète, et là aussi l’été et l’automne qui vient de s’écouler n’a pas été avare de records dont nous nous serions bien passés (incendies, inondations, canicules…).

Dans ce contexte, les vieilles recettes pour explorer l’avenir ne sont plus adaptées. Nous entrons dans l’ère du « business as unusual », et donc fonder des décisions stratégiques à long terme sur la réplication du passé est devenu inadéquat, voire risqué. En particulier, la transition bas carbone ne sera pas un ajout à une prolongation tendancielle, mais plus vraisemblablement un ensemble de ruptures.

Compte-tenu de cette nouvelle donne, il ne s’agit pas pour les instances dirigeantes d’entreprise de tout prévoir, mais de se préparer à différents futurs éventuels, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise dans le contexte de la transition bas carbone. 

Car, que ce soit par la volonté humaine, ou par défaut de fourniture d’hydrocarbures « faciles », la décarbonation « un jour » de nos activités est inéluctable.

Cette publication a pour objectif de répondre aux questions suivantes :

  • Quelles sont les limites de la stratégie d’entreprise telle qu’elle est généralement mise en œuvre ?
  • Comment les entreprises peuvent et devraient enrichir leur réflexion stratégique, pour augmenter la pérennité et la valeur ajoutée de leur activité ?
  • Concrètement, quelles sont les étapes principales d’une analyse permettant de s’atteler à cet enjeu : l’analyse par scénario par flux physique ?
  • Quels bénéfices les entreprises tirent de cette analyse ?

1. Les limites de la stratégie d’entreprise actuelle

Constat : un monde de plus en plus incertain, avec des risques environnementaux majeurs et systémiques

Lors du dernier siècle, l’utilisation d’une énergie de plus en plus abondante et de moins en moins chère a permis à l’humanité de faire un véritable bond en avant en termes de production, et à la suite de développements économiques et sociaux. A titre d’exemple :

  • L’extrême pauvreté[3] dans le monde a reculé de 15 points en moins de 40 ans : de 18% en 1981 à 3% en 2017
  • L’espérance de vie à la naissance dans le monde est passée de 59 ans en 1970 à 72 ans en 2017[4]
  • La population mondiale a été multipliée par 4 entre 1920 et 2020 et, dans le même temps, le PIB mondial par personne a été multipliée par presque 6[5].

Seulement, cette croissance socio-économique a aussi impliqué :

  • Une croissance massive de la consommation de ressources non renouvelables (ex : énergies fossiles, métaux, minerais non métalliques, sols) et une surconsommation des ressources renouvelables au-delà de leur capacité de renouvellement (ex : poissons, eau douce, forêts)
  • Une croissance massive d’émissions de polluants et de génération de déchets divers, co-produits de nos activités économiques (ex : gaz à effet de serre, pollution azotée, particules fines, déchets plastiques ; pesticides…)

Aujourd’hui, 5 limites planétaires sont déjà dépassées ou sont sur le point de l’être[6] :

  • Le changement climatique
  • La perte de la biodiversité
  • Le changement d’affectation des sols
  • La perturbation du cycle de l’azote
  • La perturbation du cycle du phosphore

Les impacts de ces dépassements, bien que largement documentés, restent trop peu pris en compte par les décideurs politiques et économiques, ces derniers considérant qu’ils n’ont pas de lien avec l’avenir des systèmes dont ils ont la charge.

Figure 1 : Stockholm Resilience Center, d’après W. Steffen & al., Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Science, 2015

Le réchauffement climatique est un symptôme parmi d’autres du franchissement des limites planétaires. Il met gravement en péril les individus et les sociétés humaines, et interroge particulièrement fortement notre modèle de développement socio-économique à court et moyen terme : c'est la raison pour laquelle il sera le thème central de cette publication.

Nous allons maintenant devoir faire évoluer fortement nos activités et nos modèles de création de valeur, pour les mettre en cohérence avec les limites planétaires, tout en préservant le maximum d’acquis possibles. C’est un exercice d’optimisation sous contrainte d’un genre nouveau, puisque jusqu’à maintenant la stratégie d’entreprise relevait plutôt de l’optimisation sans contrainte globale !

Au niveau macro-économique, nous avons abordé dans la publication « Découplage et croissance verte*»[7] la difficulté à concilier la croissance économique telle que nous la connaissons avec le respect de nos engagements climatiques.

Quel est l’impact au niveau des entreprises ?

Quels impacts pour les entreprises ?

La poursuite des tendances des dernières décennies n’est donc physiquement pas tenable. Dans ce contexte, il est risqué de fonder des décisions stratégiques long terme sur une approche par induction, généralement appelée « Business As Usual », sans tenir compte des contraintes physiques.

Par rapport à l’épidémie de COVID que nous sommes en train de vivre, les risques liés au dérèglement climatique sont pour partie plus prévisibles (par exemple ceux liés à la montée des eaux ou à la fissuration des bâtiments en cas de fortes sécheresses), mais d’autres sont difficiles à échéancer précisément et nous prendront donc par surprise (déstabilisations politiques liées à des crises alimentaires par exemple). Dans tous les cas de figure, il devient nécessaire de les intégrer à la réflexion stratégique des entreprises. 

Le changement climatique induit deux risques majeurs qui pèsent sur nos systèmes : les risques physiques et les risques de transition.

Les risques physiques sont liés aux conséquences du changement climatique en tant que tel, et sont dépendants de notre capacité d’adaptation. Le changement climatique se manifeste de la façon la plus évidente à travers une fréquence et une intensité accrue d’événements météorologiques extrêmes, tels que des inondations, des épisodes de canicules ou de sécheresses, qui peuvent venir perturber les chaînes d’approvisionnement voire endommager des actifs d’une entreprise ou des infrastructures. Au-delà des évènements extrêmes, des modifications climatiques chroniques vont impacter durablement les conditions, voire l’habitabilité, de certaines zones géographiques, du fait d’augmentations de température moyenne, de variations de pluviométrie, etc. Il en découlera aussi des conséquences sociales et politiques impossibles à modéliser, mais qui ne sont pas à écarter pour autant. 

En octobre 2018, les niveaux d’étiage étaient si bas que le trafic fluvial du Rhin, première voie fluviale européenne, a dû être interrompu. Cela a ainsi fortement affecté l’industrie allemande. À titre d’exemple, le poids lourd de la chimie BASF a dû interrompre la production d’une de ses usines, avec une perte estimée par l’entreprise à hauteur de 250 M€.[8]

En février 2019, Pacific Gas & Electricity Company (PG&E), l’équivalent d’EDF en Californie, qui alimente 16 millions de foyers a déclaré faillite après avoir été considéré responsable d’une centaine d’incendies dont le total des dommages est estimé à une trentaine de milliards de dollars.[9]

Plus récemment, au début 2021, la pénurie de puces électroniques a été aggravée par deux phénomènes liés au changement climatique. La vague de froid qui a frappé le Texas en février, a entrainé d’importantes coupures d’électricité, ce qui a contraint NXP Semiconductors et Infineon Technologies, les numéros 1 et 3 mondiaux des puces pour automobiles, à stopper leurs activités, qui n’ont repris qu’à la mi-mars.[10] A l’autre bout du monde, la sécheresse à Taiwan, la pire depuis 56 ans, a contraint le gouvernement d’imposer des restrictions d’accès à l’eau. La plus importante fonderie de semi-conducteurs, TSMC a dû réduire d’environ 10 % sa consommation d’eau[11], l’obligeant à s’appuyer sur un approvisionnement par camion-citerne[12].

Les risques de transition sont les risques liés à une dynamique de réduction forte et rapide des émissions de gaz à effet de serre, en cohérence par exemple avec les ambitions de l’Accord de Paris. Le respect d’un budget carbone fini qui en découle implique d’inscrire le « terrain de jeu » de l’économie à l’intérieur des limites physiques planétaires (dont un système climatique stable fait partie), ce qui rend nécessaire de transformer en profondeur l’ensemble des activités économiques actuelles. Ces risques peuvent venir de l’action de la puissance publique, mais aussi des consommateurs, des salariés (citons à ce titre le « manifeste pour un réveil écologique » des étudiants du supérieur en France), des juges, ou d’autres acteurs qui font pression sur les entreprises. 

A titre d’exemple, Total a déprécié pour près de 10 milliards d’euros d’actifs en 2020 : « Dans le cadre de l’ambition climat, nous avons rabaissé nos perspectives de prix à long terme et avons réalisé une importante revue d’actifs dont nous considérons que les réserves pouvaient se retrouver échouées. » détaille Patrick Pouyanné[13].

Qui dit risquesdit aussi opportunités : les entreprises qui se seront le mieux préparées aux évolutions à venir pourront tirer leur épingle du jeu, en anticipant les évolutions du marché, les besoins clients de demain, les futures exigences réglementaires, etc. Pour cela, leurs activités et leurs modèles d’affaire devront apporter davantage de valeur à une société en transition bas-carbone. 

Les limites des approches « classiques » de la stratégie d’entreprise pour répondre à ces enjeux

Éprouvées depuis plusieurs décennies, les approches « classiques » de la stratégie d’entreprise sont largement diffusées dans les directions générales d’entreprises. Efficaces pour raisonner « where to play » and « how to win » quand il s’agit de se partager un gâteau qui croît perpétuellement, ces approches souffrent cependant de limites intrinsèques face aux risques environnementaux – donc aux limites physiques non monétaires - décrits ci-dessous :

  1. La stratégie d’entreprise se base sur une approche « prédictive », utilisant souvent des hypothèses sous-jacentes de prolongation tendancielle sans rupture ;
  2. La réflexion stratégique se fait souvent à un horizon relativement court terme ce qui exclut par construction les processus lents mais potentiellement très déstabilisants pour l’activité de l’entreprise, dont le changement climatique fait partie ;
  3. Les limites planétaires, et en particulier les conséquences du changement climatique, qui ne se monétarisent pas facilement, ne sont quasiment jamais intégrées aux réflexions stratégiques (ou à des degrés encore très limités), car ces dernières se limitent souvent aux facteurs qui sont exprimables de manière économique (tailles de marché, coût des facteurs de production);
  4. Les interdépendances entre différents secteurs et activités sont encore mal maîtrisés et l’analyse systémique n’est pas employée.

1. La stratégie d’entreprise se base sur une approche « prédictive », utilisant souvent des hypothèses sous-jacentes de prolongation tendancielle sans rupture

La construction du « plan stratégique » d’une entreprise résulte le plus souvent d’une démarche analytique classique éprouvée, avec plusieurs passages obligés : structure de coût de l’entreprise, de revenus, portefeuille produits, innovation, organisation de l’entreprise. 

La projection dans le futur se fait alors sous forme « prévisionniste », c’est à dire avec des séries temporelles d’évolution des sous-jacents de l’activité et des paramètres clés du business plan de l’entreprise :

  • Volumes de vente et sous-jacents de la demande
  • Prix de vente des produits/services vendus par l’entreprise
  • Prix des « intrants » nécessaires à l’activité de l’entreprise
  • Coûts internes de l’entreprise
  • Inflation / taux de change entre monnaies
  • Taxes supportées par l’entreprise (dont taxe carbone quand elle existe)
  • Etc.

La prévision des volumes et des prix de vente des produits/services de l’entreprise, sont souvent issues d’études de marchés ad-hoc. Par exemple, l’évolution de la demande est souvent issue d’extrapolations de tendances passées, en se raccrochant à l’évolution de paramètres macro-économiques donnés par les grandes institutions économiques (OCDE, FMI, Banque de France, BCE, Banque Mondiale, etc.) ou directement issue de cabinets de conseil spécialisés pour certains secteurs (Platts, Wood-Mackenzie, IHS Markit, etc.). 

Pour les paramètres macro-économiques externes et taxes, les sources regroupent des institutions économiques de référence ainsi que les pouvoirs publics. 

Cet ensemble hétérogène de données d’entrée est ensuite intégré au modèle financier de l’entreprise pour anticiper l’évolution de ses résultats financiers (CA, EBITDA, résultat net, flux de trésorerie, rentabilité des capitaux propres, besoin de financement, etc.).

Cette approche suppose implicitement qu’aucune limite physique ne peut venir fortement modifier les structures de coûts, et par ailleurs ne permet pas de savoir si la disponibilité des intrants est acquise quels que soient les volumes de production envisagés. Le passé récent a montré que ces limites étaient susceptibles de conduire à de mauvaises surprises.

2. La réflexion stratégique se fait souvent à un horizon relativement court terme ce qui exclut par construction les processus lents mais potentiellement très déstabilisants pour l’activité de l’entreprise, dont le changement climatique fait partie

Le « plan stratégique » anticipe le futur de l’entreprise à horizon 3 ou 5 ans. Un horizon de temps trop court au regard de l’objectif de neutralité carbone planétaire en 2050, et ne permettant pas de transformer en profondeur l’entreprise ni de se projeter dans des modèles de société structurellement différents.

Plus largement, les performances financières à court terme sont fréquemment privilégiées par les investisseurs, et donc par les instances dirigeantes des entreprises. Cette vision court-termiste de la plupart des acteurs de l’économie est une des raisons principales pour lesquelles le changement climatique, phénomène s’inscrivant dans un temps long, n’est pas suffisamment traité, comme le souligne en 2015 Mark Carney, alors directeur de la banque d’Angleterre, dans son discours « Briser la tragédie des horizons »[14].

Pour apprécier la pleine portée des choix effectués, il faut retrouver une vision du temps long, surtout quand les arbitrages ne sont pas facilement réversibles à court terme. Pour cela, il est souvent utile de commencer par imaginer les activités de l’entreprise dans 10, 20 ou 30 ans, dans un monde qui aurait beaucoup avancé sur la voie de la neutralité carbone.

3. Les limites planétaires, et en particulier les conséquences du changement climatique, qui ne se monétarisent pas facilement, ne sont quasiment jamais intégrées aux réflexions stratégiques (ou à des degrés encore très limités)

Un écueil important consiste à commencer par raisonner « argent », sans mener d’analyses basées sur les flux physiques. 

En effet, les réflexions stratégiques se limitent souvent aux facteurs qui sont exprimables de manière économique (tailles de marché, coût des facteurs de production), ce qui exclut de fait une grande partie des contraintes d’ordre physique. Pour bien comprendre les risques et opportunités que portent la dérive climatique et la transition vers un monde bas-carbone, il est essentiel d’enrichir les réflexions stratégiques d’une analyse rigoureuse de l’évolution des flux physiques.

De plus, l’ordre de priorité entre maintien de l’activité à l’identique et contribution à la résolution de la crise climatique n’est souvent pas le bon dans les milieux économiques. 

Trop souvent, les entreprises souhaitent faire d’abord ce qu’elles ont toujours fait, et abordent ensuite la question climatique avec pour première question « comment convaincre nos parties prenantes que ce que nous faisons est déjà du bon côté de la barrière ». Or, une bonne démarche stratégique fait l’inverse : on part d’un point focal et on se demande comment faire pour y arriver. Ce point focal doit inclure l’arrêt de la dérive climatique en deçà de 2°C climat comme contrainte indépassable.

Lors d’un sondage réalisé en 2019 par Carbone 4 avec l’Institut Français des Administrateurs, nous notions que seulement 11% des administrateurs considèrent que la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises est « Bonne » ou « Très bonne »[15].

Dans la même étude, seulement 7% des administrateurs s’étaient vus présenter une analyse prospective de la résilience de l’entreprise dans des scénarios de transition bas-carbone.

Les entreprises doivent donc monter en compétences afin de prendre en compte dans leurs orientations stratégiques les enjeux liés au dérèglement climatique et à la transition bas-carbone.

4. Les interdépendances entre différents secteurs et activités sont encore mal maîtrisées et l’analyse systémique n’est pas employée.

Comme explicité précédemment, les analyses stratégiques des entreprises se fondent sur des sources de données diverses, qui n’ont aucune garantie de cohérence. 

De manière générale, l’analyse systémique est très peu mise en œuvre.

Système et analyse systémique 

Qu’est-ce qu’un système ?

Le système peut être défini de plusieurs manières. D’après Von Bertalanffy, considéré comme le fondateur de la théorie des systèmes, un système peut être défini comme un complexe d’éléments en interaction[16]. Il le caractérise comme un système ouvert avec des flux d’information, de matière, d’énergie, des vannes, et des boucles de rétroaction[17].

Ainsi un système est constitué de plusieurs éléments qui interagissent les uns avec les autres et s’influencent mutuellement.

Qu’est-ce que l’analyse systémique ?

L’analyse, ou l’approche systémique, a pour finalité d’aider à déchiffrer, à comprendre, à agir sur un système complexe. 

La systémique considère l’objet à étudier dans sa globalité, sa complexité, elle prend en compte les relations, les interactions entre les éléments qui le compose[18].

Tandis que l’approche analytique ne considère que la causalité de A -> B, la systémique analyse la double relation de A->B et de B->A ; c’est la rétroaction. En systémique, les objets à étudier ne peuvent être compris à partir de l’analyse de relations causales simples[19]

A titre d’exemple, la tentative souvent utilisée en premier lieu pour intégrer le risque de transition climatique, consiste à rechercher une série d’évolution temporelle du prix du CO2 qui serait « compatible » avec l’Accord de Paris, par exemple la valeur tutélaire du carbone donnée par la commission Quinet en France. 

Ce prix est ensuite utilisé pour calculer l’impact sur les marges de l’entreprise, via l’évolution attendue de cette « charge » dans le compte de résultat. 

Malheureusement ce raisonnement se fait « toutes choses égales par ailleurs », alors que l’introduction d’un niveau élevé de taxe carbone n’est qu’une des faces visibles d’une transformation complète du système économique, qui aura donc de multiples impacts pour les activités de l’entreprise : évolution des modes de vie et de la consommation de produits/services, modes de transports et coûts associés, prix des matières premières et intrants, organisation du système de production, etc. 

Or, plus que la prévision du résultat net dans 10 ans, les instances dirigeantes ont besoin de comprendre en profondeur le contexte physique, économique et la société bas-carbone dans lesquels l’entreprise sera plongée à cet horizon de temps, pour prendre aujourd’hui les bonnes décisions stratégiques. 

Ainsi l’analyse systémique est indispensable à la compréhension des transformations socio-économiques qui pourraient advenir.

2. L’analyse par scénarios : un outil puissant pour la décision stratégique dans un contexte d’incertitudes qui doit gagner en rigueur

Présentation de l’analyse prospective par scénarios

La prospective

La prospective se définit comme un ensemble de recherches concernant l'évolution future des sociétés et permettant de dégager des éléments de prévision[20].

Ainsi il ne s’agit pas de prédire l’avenir, mais plutôt d’imaginer des évolutions possibles du monde afin de s’y préparer.

L’analyse prospective par scénarios

Dans son rapport pour l’Afep[21], The Shift Project propose une définition de l’analyse par scénarios :

L’analyse par scénarios est une méthode de prospective qui consiste par nature à envisager des futurs possibles, et à explorer les cheminements qui y conduisent en vue d’éclairer l’action : 

  1. Confronter les activités actuelles de l’entreprise à plusieurs futurs possibles et différents, décrits par des scénarios et marqués par l’évolution des enjeux étudiés ;
  2. Identifier les risques et opportunités pouvant affecter le modèle d’affaires de l’entreprise dans chacun de ces futurs et évaluer la résilience de ce modèle d’affaires (i.e. la capacité de l’entreprise à tolérer les ruptures induites par les enjeux étudiés et à tirer parti des changements ou des incertitudes de son environnement commercial) ;
  3. Identifier les options d’actions permettant de saisir les opportunités et parer les risques, et alimenter le processus de réflexion et de décisions « stratégiques » propres à l’entreprise.

Il est important de noter que les scénarios explorés peuvent être considérés comme probables ou non. Il ne s’agit pas dans cet exercice de prédire au mieux le futur, mais de comprendre les implications pour l’entreprise engendrées par différents scénarios.

Cette approche est par ailleurs celle recommandée par la TCFD (Task force on Climate-related Financial Disclosure) dans son rapport final[22].

Au sein du volet « Stratégie », la TCFD recommande de « décrire la résilience de la stratégie de l’organisation vis-à-vis de différents scénarios, y compris un scénario 2°C ou inférieur » (scénario de transition bas-carbone).

En pratique, des analyses par scénario aux résultats très hétérogènes

La dénomination « analyse par scénarios » est un terme générique qui englobe des réalités et donc des résultats très différents.

Une méthodologie d’analyse trop peu rigoureuse ou non systémique peut conduire une entreprise à ne pas saisir l’ampleur des transformations potentielles. Elle reste alors aveugle à une partie des opportunités qui s’offrent à elle, et des risques qui pèsent sur ses activités.

Selon l’expérience de Carbone 4, plusieurs écueils sont à éviter :

  1. Réaliser une analyse sans narratifs diversifiés, riches et cohérents de bout en bout
  2. Démarrer directement l’analyse avec des paramètres économiques, au lieu de le faire avec des flux physiques
  3. Utiliser une approche en silo, sans effets de système, ou « toutes choses égales par ailleurs »
  4. Utiliser les données issues des scénarios de référence sans saisir les limites inhérentes à ces scénarios

Penchons-nous dans le détail sur chacun de ces écueils :

1. Réaliser une analyse sans narratifs diversifiés, riches, et cohérents de bout en bout 

Le fort développement socio-économique de l’humanité ces deux derniers siècles est largement tributaire du dépassement des limites planétaires. La pression mise par l’humanité sur son environnement endommage les sous-jacents naturels nécessaires à ce développement. Les façons de produire et de consommer devront ainsi profondément évoluer afin de revenir à un équilibre permettant de prospérer sur le long terme. 

Pour construire une stratégie d’entreprise robuste, il est donc important de conduire des analyses basées sur des scénarios divers et riches, capturant un futur porteur de potentielles ruptures.

Comme détaillé dans notre précédente publication « Découplage et croissance verte*», ce n’est pas le cas des scénarios de référence produits actuellement.

En effet, les hypothèses prises pour construire ces scénarios ne permettent d’envisager qu’un spectre réduit de futurs possibles. Par exemple, les scénarios de transition bas-carbone construits par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) se basent sur l’hypothèse exogène (c’est à dire sans vérification de la compatibilité avec les autres hypothèses) d’une croissance continue du PIB mondial d’environ 3% par an jusqu’en 2050[23]. Ils misent donc sur un découplage absolu, global, pérenne, et suffisamment rapide, qui n’a rien de certain (et n’a jamais eu lieu jusqu’à maintenant). 

Penser uniquement dans le cadre de la croissance verte[24] conduit à ignorer le risque de contraction économique de certains secteurs d’activité, qui peut raisonnablement advenir lorsque l’on mobilise le levier de sobriété en complément des moyens technologiques pour atteindre les objectifs climatiques.

En conclusion, les résultats qui seront tirés de l’analyse par scénarios seront le produit des narratifs choisis. Si ceux-ci ne sont pas assez diversifiés, peu d’éclairage stratégique sera construit. 

2. Démarrer directement l’analyse avec des paramètres économiques, au lieu de le faire avec des flux physiques

Envisager la transition écologique uniquement à travers des indicateurs économiques en ignorant totalement les aspects physiques, ou bien combiner flux physiques et économiques trop tôt dans l’analyse, peut conduire à ne pas saisir l’intégralité des enjeux auxquels est confrontée l’entreprise.

Par exemple, réfléchir aux conséquences sur l’activité d’une entreprise d’un certain prix du carbone peut donner des informations intéressantes sur certaines activités particulièrement exposées. Néanmoins, cela ne permet pas de capturer l’entièreté de la réalité physique associée et peut conduire à négliger certains aspects clés, dont certains sont listés ici :

  • Chaque secteur d’activité a des spécificités et des contraintes particulières, ce qui induit nécessairement que les objectifs et la réglementation soient en partie discriminés par secteur. Par exemple, la Stratégie Nationale Bas Carbone prévoit des efforts différenciés par secteur avec notamment une décarbonation quasi-complète du secteur du transport alors que l’agriculture continue de représenter une part significative des émissions en 2050. De telles différences ne sont pas prises en compte dans une analyse basée sur un prix du carbone uniforme.
  • Un environnement qui se modifie et l’émergence de nouveaux idéaux collectifs peut donner lieu à des changements importants dans les comportements individuels et collectifs. Réfléchir en termes purement économique ne permet pas d’intégrer complètement ces évolutions sociétales qui peuvent pourtant avoir des conséquences majeures sur la demande des produits vendus par l’entreprise.
  • La puissance publique n’a pas que le prix du carbone à sa disposition pour infléchir les comportements. La réglementation (interdiction ou obligation de faire, normalisation) est également une manière d’agir, et les conséquences pour les acteurs économiques peuvent être bien plus rapides et amples.
  • Enfin, réintégrer l’activité économique dans les limites planétaires implique de devoir arbitrer l’utilisation des ressources finies, en sortant par exemple d’une logique d’optimisation purement économique mais en les allouant au service de la réalisation d’un projet de société (par exemple en les réservant dans certains cas aux usages essentiels). Il est utile d’envisager les causes et conséquences d’éventuelles tensions sur des ressources clés pour l’activité de l’entreprise, ce qui n’est également pas perçu dans une logique économique classique, généralement libérale et où « celui qui accepte de payer le prix peut avoir accès à la ressource ».

C’est pourquoi l’analyse devrait intégrer de façon native les déterminants physiques sur lesquels repose l’activité économique. 

3. Utiliser une approche en silo, sans effets de système, ou « toutes choses égales par ailleurs »

Comme vu précédemment, l’approche « toutes choses étant égales par ailleurs » est fréquemment utilisée en entreprise, principalement pour des raisons de simplicité et lisibilité. Malheureusement, cela peut engendrer des conclusions trompeuses et une fausse impression de solidité de l’activité. 

Prenons l’exemple de la ressource en bois qui est un levier majeur de décarbonation pour le secteur de la construction. Une entreprise de ce secteur ne peut pas projeter le potentiel de bois disponible pour la construction à partir de ses seuls besoins et de la production actuelle de la forêt.

En effet, il convient également de prendre en compte au moins trois autres facteurs : 

  • L’impact du changement climatique – sécheresses, tempêtes, inondations - sur la ressource bois, diminuant la productivité des forêts et la qualité du bois (prolifération de nuisibles due à la montée des températures, thromboses, incendies, chablis…).
  • La gestion de la crise de la biodiversité qui nécessitera une gestion moins productiviste de nos forêts, pour développer davantage de forêts aux essences plus variées
  • Enfin la concurrence d’usage croissante avec de nombreux autres secteurs économiques qui souhaitent aussi se tourner vers la ressource bois, et vers la biomasse en général, pour leurs propres stratégies. Cela concerne a minima les secteurs de l’énergie (électricité, réseaux de chaleur, chaufferies), de la mobilité (agrocarburants), de la chimie (matériaux biosourcés), et de certains produits de consommation (matériaux biosourcés). La concurrence des usages, si elle n’est pas modélisée ni maitrisée, masque un risque, en volume (le bois n’est pas disponible, quel que soit le prix) ou en prix.

Ainsi, afin de saisir tous les tenants et aboutissants d’une décision stratégique, une analyse systémique doit être privilégiée.

4. Utiliser les données issues des scénarios de référence sans saisir les limites inhérentes à ces scénarios 

Les scénarisations propres à une entreprise sont parfois bâties à partir d’un scénario dit « de place », élaboré par un organisme considéré comme faisant autorité, l’entreprise détaillant alors la partie qui concerne son secteur d’activité. En pareil cas, la scénarisation pour l’entreprise hérite de la qualité – ou des limites – du scénario de place utilisé comme base.

Il est alors essentiel de bien avoir compris la construction du scénario de place utilisé et ses limites intrinsèques, faute de quoi il est possible de conclure de manière erronée. 

Nous pouvons illustrer cet écueil en nous penchant sur les scénarios de l’AIE. 

Comme détaillé dans notre précédente publication « Découplage et croissance verte*», les limites de ces scénarios comprennent en particulier :

  • Une croissance continue et exogène du PIB sans se poser la question de la compatibilité avec les flux physiques du scénario,
  • Un développement de ruptures technologiques très fortes,
    • En particulier une augmentation de l’efficacité énergétique bien au-delà des tendances actuelles,
    • Un développement très ambitieux des moyens de Carbon Capture & Storage (+15% par an pour le scénario 2°C, ce qui revient à déployer d’ici à 2050 ~500 000 km de pipeline, i.e. le réseau actuel de pipeline pétrolier),
    • Conjugué à un développement à grande vitesse de filières d’approvisionnement énergétique bas-carbone.

S’appuyer sur des scénarios où la technologie permet de résoudre tous les problèmes, sans en créer de nouveaux, et en ne modifiant qu’à la marge le futur par rapport à notre présent est délibérément prendre le pari que rien de gênant ne peut se produire. C’est rassurant mais incomplet quant aux futurs possibles, qu’une Direction Générale d’entreprise doit envisager de manière large. 

La technologie a certes un rôle important à jouer, mais il est indispensable d’envisager des futurs dans lesquels la mutation vers des usages et comportements plus sobres structure l’économie de demain.

L’approche proposée par Carbone 4 permet d’éviter ces écueils.

L’initiative IRIS

L’initiative IRIS[25], menée par Carbone 4, a pour objet de concevoir une nouvelle génération d’outils et de méthodes, réalisés par et pour le monde économique, répondant à ce besoin d’anticipation et d’évolution de la réflexion stratégique. 

  • Des scénarios « cadres » systémiques et sectorisés, riches et diversifiés, adaptés aux besoins des entreprises. Ils exploreront différentes trajectoires climatiques (<2°C et >2°C), technologiques et sociologiques. Ils décriront le champ des possibles de la transformation des chaines de valeur en cohérence avec les contraintes physiques et limites planétaires désormais bien documentées ;
  • Un modèle systémique totalement accessible, en « open-source », qui supporte la production des scénarios ;
  • Un accompagnement à la compréhension et l’usage des scénarios pour la réflexion stratégique via un dispositif pédagogique dédié : le « Scenarios Lab ».

Ces travaux sont réalisés avec des partenaires académiques de premier plan et des entreprises mécènes. 

L’objectif est clair : permettre à toutes les organisations de s’emparer des outils et des méthodes pour catalyser les décisions stratégiques majeures à la hauteur des défis énergie/climat.

3. L’analyse par scénario par Carbone 4 : Etude de cas sur le secteur de la construction en Europe

Objectif : Évaluer la résilience du modèle d’affaire d’une entreprise de la construction de logements en Europe. Pour cela, nous construisons des scénarios d’évolution de ce marché sous contrainte carbone, en considérant à la fois l’évolution de la demande et de l’offre.

Le but de cette analyse prospective est de choisir un ensemble d’hypothèses réalistes, partagées, mises en cohérence dans un scénario, et de comprendre quels en seraient les impacts pour l’entreprise. L’enjeu est de pouvoir objectiver la résilience ou non de l’activité dans ces différents scénarios. Incidemment, cet exercice permet d’identifier les déterminants physiques clés pour l’activité de l’entreprise et de visualiser plusieurs trajectoires possibles sur le long terme.

La méthode d’analyse par scénario de Carbone 4 comporte 4 étapes principales permettant d’aboutir à l’analyse des risques et des opportunités pour le modèle d’affaire d’une entreprise dans le contexte de la transition bas-carbone.

  1. La première étape consiste à construire les narratifs d’à minima deux (ou davantage) scénarios prospectifs de transition bas-carbone, dans lesquels seront projetées les activités de l’entreprise. Ces scénarios décrivent une évolution des flux physiques (énergie, matière première, etc.) et d’indicateurs socio-économiques (PIB, consommation, etc.).
  2. Des entretiens sont ensuite organisés avec les métiers de l’entreprise, afin de comprendre avec précision la structure de l’activité et les déterminants physiques de l’offre et de la demande pour les produits et services commercialisés par l’entreprise.
  3. La troisième étape est le cœur quantitatif de l’analyse. Elle consiste à quantifier l’évolution de l’activité de l’entreprise sous contrainte carbone, dans chacun des scénarios élaborés à la première étape.
  4. Enfin, au regard de l’analyse quantitative menée, les risques et opportunités pour l’entreprise sont évalués pour chacun des scénarios. Nous aidons les métiers à identifier les facteurs de résilience de l’entreprise et les leviers permettant de faire évoluer le modèle d’affaires vers des activités à forte valeur ajoutée dans un monde bas-carbone.

Synthèse des résultats de l’étude de cas :

De la combinaison des analyses d’évolution de la demande et de l’offre sous contrainte carbone, résulte l’évolution du marché de la construction de logements en Europe dans chacun des scénarios.

La modélisation montre une contraction de la demande en logements neufs entre 2020 et 2050 d’environ 20%-25% dans le scénario pro-techno et d’environ 60%-70% dans le scénario sobriété.

L’évolution du marché de la construction est bornée par la demande et l’offre. Dans le cas le plus conservateur :

  • une offre inférieure à la demande la contraint
  • une offre supérieure à la demande entraîne un ajustement du niveau de production

Par conséquent, la taille du marché de la construction s’adapte à la grandeur minimale. Elle peut donc se calculer de la manière suivante : 

L'analyse par scénario met donc en évidence des transformations de marché profondes. Il est clé d’analyser ensuite la vulnérabilité de l’entreprise vis-à-vis de ces évolutions, et les opportunités de diversification de l’activité.

Risques de transition, risques physiques

L’analyse par scénarios permet d’analyser les activités de l’entreprise dans le cadre de scénarios contrastés illustrant des risques physiques et/ou des risques/opportunités de transition.

Dans l’étude de cas présentée ici, nous nous concentrons sur les risques de transition

Les risques physiques sont étudiés en détail par le pôle « Adaptation » de Carbone 4 [26]. Le projet OCARA piloté par Carbone 4 offre notamment un référentiel d’analyse de la résilience des entreprises aux impacts du changement climatique[27].

4. Bénéfices de l’analyse par scénario : retours d’expérience clients

L’étude de cas évoquée précédemment permet d’illustrer de manière simplifiée la méthode d’analyse par scénario telle que conduite par Carbone 4.

Cette méthodologie s’applique à tous les secteurs d’activité. Elle est adaptable, peut atteindre des niveaux de granularité importants et s’articule avec des enjeux plus opérationnels, en fonction des attentes de l’entreprise. 

Nous avons accompagné de nombreux clients issus d’une grande variété de secteurs avec cette méthode. Voici quelques retours d’expérience.

Nos clients relèvent en particulier trois grands bénéfices pour leur entreprise :

1. Enrichir la réflexion stratégique avec de nouveaux paradigmes (physiques)

« Nous utilisons cette analyse pour alimenter notre réflexion stratégique à moyen/long terme. Elle aide nos chefs de segment à analyser leur marché sous un nouvel angle, avec de nouveaux critères. Elle aide nos key account managers à questionner nos clients sur leur vision. Elle aide nos dirigeants à se poser de nouvelles questions. »
Arnaud Marquis, Tarkett, Directeur du Développement Durable

« Cette analyse a permis de se familiariser avec un exercice de scénarisation plus large que ceux menés en général. Elle s’est inscrite dans une dynamique en place et a alimenté la réflexion stratégique de la direction sur le sujet »
Deputy VP Sustainability, Grand industriel français

« L’analyse par scénario a l’énorme avantage de s’extraire du débat sur la probabilité de survenance des hypothèses liées au changement climatique car elle place les acteurs de l’entreprise dans un scénario et les oblige à l’envisager de façon systémique. Cette approche permet de sortir de la question : Et si cela n’arrivait pas comme ça ou si cela n’arrivait pas du tout. »
Philippe Gundermann, Eramet, Executive VP Strategy & Innovation

« L’analyse nous a permis de réfléchir à notre avenir en prenant des hypothèses objectives qui ne s’appuie pas sur le dogme de l’exploitation infinie des ressources naturelles, ni celle de l’utilisation des flux physiques carbonés dans un monde fini en ressources. »
Fabrice Bonnifet, Bouygues SA, Directeur Développement Durable

2. Prise de conscience et identification des risques et opportunités d’une transition vers une économie bas-carbone

« Cet exercice a permis au comité exécutif et à leurs équipes directes de prendre conscience des risques et des opportunités d’une transition vers une économie bas carbone. »
Arnaud Marquis, Tarkett, Directeur du Développement Durable

« Compte tenu du défi climatique, on peut prédire d’ici 2030 une évolution vers : moins de constructions neuves et plus de rénovations, moins de transports routiers et plus de transports par rail. C’est un travail qui vise à expliquer à nos parties prenantes comment l’entreprise va faire évoluer son modèle d’affaires pour rester viable dans un monde en contraction économique qui va devoir se décarboner rapidement.»
Fabrice Bonnifet, Bouygues SA, Directeur Développement Durable

« L’analyse par scénario a permis une prise de conscience collective des enjeux stratégiques sur le business model de la société, pour l’ensemble du Comité Exécutif, avec une prise de recul dans des projections longues. Elle a permis de se projeter sur un horizon très long 2030 -2050 et d’envisager les modifications systémiques en matière de demande en métaux critiques. Elle permet de quantifier, selon diverses trajectoires, des évolutions structurantes pour le business model d’Eramet. »
Philippe Gundermann, Eramet, Executive VP Strategy & Innovation

3. Passer à l’action en identifiant les principaux leviers à activer, les marchés où se développer et les parties prenantes clés avec qui collaborer

« Grâce aux travaux menés avec Carbone 4, nous avons pu :
- Identifier les parties prenantes ayant le plus d’impact et donc avec lesquels nous devons travailler pour réduire ces risques ou saisir ces opportunités.
- Quantifier les risques et opportunités permet de se donner des priorités dans la recherche de solutions d’adaptation. »
Arnaud Marquis, Tarkett, Directeur du Développement Durable

« Cette analyse nous permet d’anticiper la décroissance de nos métiers historiques et de donner une tentative d’objectivation des potentiels de croissance long terme de nouveaux positionnements potentiels sur des métiers adjacents. »
Diego Harari, Vinci Immobilier, Directeur du Développement Durable et de l’Innovation


Au-delà des enseignements stratégiques, de multiples co-bénéfices apportés par cet exercice sont visibles :

  • La sensibilisation du top management aux impacts du changement climatique et la rupture qu’elle induit.
  • Le partage d’un référentiel et d’un lexique commun pour les instances dirigeantes de l’entreprise, permettant une bien meilleure appréhension de ces sujets et la manière de les traiter. En effet, la transition énergétique ou le changement climatique peuvent revêtir des imaginaires très différents selon les individus, et mener à des visions hétérogènes et des actions désordonnées.
  • Le lancement d’une démarche qui permet à l’entreprise d’être créatrice de valeur et de solutions dans un monde bas-carbone.
  • Enfin, et sans doute le plus important, une réelle source de motivation et d’adhésion au projet refondé de l’entreprise pour les collaborateurs et les collaboratrices.

Conclusion

Les limites planétaires ne pourront être durablement dépassées. Dès lors, des risques systémiques vont profondément affecter l’environnement économique des entreprises.

Or, la stratégie d’entreprise actuelle est aveugle à ces évolutions et à de potentielles ruptures. Les vieilles recettes ne suffisent pas pour intégrer de façon pertinente les risques climatiques et environnementaux.

Dans ce contexte, les acteurs économiques gagnent à se doter de nouveaux outils de réflexion afin d’anticiper les évolutions et ruptures susceptibles de se matérialiser. L’analyse prospective par scénario est un outil puissant pour répondre à ces nouveaux défis.

Pour les entreprises, mener une analyse par scénario pour se positionner en avant-garde de l’action climatique constitue un avantage compétitif en vue de prospérer sur le long terme.

Cependant, la mise en œuvre de cette approche, non normée, donne des résultats très hétérogènes. Ancrer la réflexion dans une méthodologie robuste est absolument fondamental pour tirer des enseignements stratégiques pertinents pour l’entreprise. L’approche Carbone 4 permet d’éviter les écueils potentiels de cet exercice, via la mise en œuvre de narratifs contrastés, cohérents, modélisant des évolutions systémiques, et basées sur des flux physiques.

Pour conclure, les limites planétaires et l’environnement doivent être intégrés au cœur de la réflexion stratégique de l’entreprise. Cette dernière doit être redéfinie, cherchant à la fois la résilience et la rentabilité du modèle d'affaire, mais également sa pertinence dans une vision de long terme (dont la contribution à l’atteinte de la neutralité carbone).

Michael Porter, il y a plusieurs années déjà, a développé le concept de "Creating Shared Value", visant à introduire pleinement les sujets sociaux et environnementaux à la stratégie d’entreprise et à son activité. Bien que minoritaires, de nombreuses entreprises à travers le monde commencent à mettre en œuvre cette idée. La loi PACTE en France, avec le statut d'entreprise à mission, cherche à encourager ces initiatives.

Alors, à quand la mutation bas-carbone de la stratégie d'entreprise ?

 

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Nous remercions les relecteurs de Carbone 4 : Alain Grandjean, Alexandre Huon de Kermadec, Clément Ramos.

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