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8 avril 2020

Trainées de condensation : quel impact sur le climat ?

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant. Par Célia Foulon – Consultante 

Vous avez sans doute déjà observé ces longues trainées blanches qui se forment dans le ciel suite au passage d’un avion. Appelées trainées de condensation, elles se forment à haute altitude à la sortie des réacteurs si l’air environnant est suffisamment froid et humide. Elles sont liées à la condensation de la vapeur d’eau émise par les moteurs autour de noyaux de condensation présents dans les suies et les gaz de combustion [1]. Ces longues trainées ne sont pas anodines et peuvent parfois persister pendant plusieurs heures, couvrant une partie non négligeable du ciel : on parle alors de cirrus d’altitude induits qui sont des nuages très fins, couvrant de grandes surfaces. Les trainées persistantes et les cirrus induits accentuent le réchauffement climatique (surtout les cirrus) : ils absorbent une partie du rayonnement provenant de la Terre et le réémettent vers le sol, tout en étant trop fins pour avoir un effet d’albédo qui pourrait contrebalancer ce réchauffement. Si leur impact est difficilement quantifiable avec précision, on estime généralement que cela doublerait le forçage radiatif de l’aviation (voir schéma ci-dessous, issu de [1]).   

RF : radiative forcing => forçage radiatif AIC : aircraft-induced cloudiness => nébulosité induite par les avions Contrail cirrus : cirrus induit par les traînées de condensation Persistent contrails : traînées de condensation persistentes   

Un point de controverse scientifique porte sur la métrique elle-même : le forçage radiatif (RF en anglais) mesure l’impact des émissions passées à un instant t, alors que la métrique habituellement utilisée pour mesurer l’impact futur des émissions sur le climat est le pouvoir de réchauffement global (GWP en anglais). Un facteur 2 sur le RF ne se traduit pas automatiquement par un facteur 2 sur le GWP car la notion de durée de vie intervient … L’effet de ces trainées n’est en tout cas jamais pris en compte par les compagnies aériennes ou par la DGAC lorsqu’il s’agit de calculer l’empreinte carbone des vols. La contribution du secteur aérien au changement climatique est donc sous-estimée dans le débat public, ne prenant en compte que le kérosène brûlé (combustion en général, combustion + amont dans certains cas). Si la priorité pour l’aviation est bien de réduire les émissions de CO2 dues à la combustion du kérosène afin de limiter l’impact sur le long terme (le CO2 reste dans l’atmosphère pendant un siècle), les trainées de condensation et cirrus induits ont elles une durée de vie très courte (de quelques minutes à quelques heures) et pourraient ainsi être atténuées rapidement, pour un impact immédiat [2]. 

Dans les prochaines années, les carburants alternatifs (issus de la biomasse ou synthétisés par la voie Power-to-Liquids) devraient réduire considérablement la formation des trainées du fait de la quasi absence de particules dans les produits de combustion. Mais pour réduire l’effet des trainées de condensation dès maintenant, des scientifiques de l’Imperial College of London proposent de faire voler les avions à une altitude légèrement différente, à laquelle le taux d’humidité ne serait pas propice à la formation des trainées. Conscients que les routes aériennes sont choisies pour optimiser le temps de vol (donc la consommation de kérosène et le coût du vol) et que les compagnies sont souvent réticentes à modifier le parcours de leurs avions, les scientifiques estiment que moins de 2% des vols, à l’origine des trainées les plus persistantes, pourraient être déviés de ± 2000 pieds (unité usuelle dans l’aéronautique, correspondant à environ 600 m) pour limiter de près de 60% l’effet des trainées de condensation du secteur [3]. Ces déviations n’entraineraient selon eux qu’une surconsommation de 0,014% de carburant et donc un large bénéfice au total. Deux questions persistent néanmoins : est-il possible, avant le décollage, d’identifier les 2% des vols concernés et de déterminer la bonne altitude à laquelle voler ? Les compagnies aériennes et/ou les autorités du contrôle aérien accepteraient-elles de dévier certains des vols uniquement par souci écologique ? Si la réponse à la première question est probablement oui, celle à la seconde est moins claire … 

 

 

Sources : [1] Nature Communications [2] Le Monde [3] ACS Publications


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