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30 novembre 2023
Auteurs et autrices : Léa Prunier
Contributeurs & contributrices : Arthur Pivin

SNB 2030 : qu’attendre de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité ?

Avec deux ans de retard et après plusieurs mois de consultations et de réécriture, la SNB 2030 (ie. stratégie nationale pour la biodiversité à horizon 2030) a été dévoilée dans sa version finalisée ce lundi 27 novembre 2023, en présence de la Première Ministre, Elisabeth Borne, du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, et de la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry. 

À quoi correspond ce nouveau plan stratégique pour la biodiversité ? Que peut-on en attendre ? Carbone 4 vous propose un décryptage. 

La SNB, de quoi parle-t-on ?

La stratégie nationale pour la biodiversité, ou SNB, correspond à l’engagement de la France au titre de la Convention sur la diversité biologique (CDB)[1]. Il s’agit d’une feuille de route élaborée par le gouvernement qui définit les grands objectifs et plans d’action nationaux vis-à-vis de la biodiversité. Elle doit permettre de décliner, à l’échelle de la France, le cadre mondial pour la biodiversité (GBF) adopté par les parties de la convention lors de la COP15 en décembre 2022[2] (voir notre article sur le sujet). 

La SNB 2030, ou 3e SNB, fait suite aux 2 précédentes SNB (2004-2010, 2011-2020) et au plan biodiversité de 2018. Son objectif, dans la ligne de celui posé par le GBF : “stopper et inverser l’érosion du vivant d’ici à 2030”. Il s’agit donc d’un texte au cœur de la planification écologique, en association avec la nouvelle Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le nouveau Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC). 

La SNB 2030, 40 mesures à horizon 2030 pour inverser l’érosion du vivant

La SNB 2030 recense 40 mesures à horizon 2030, réparties au sein de 4 grands axes : 

  1. réduire les pressions qui s'exercent sur la biodiversité
  2. restaurer la biodiversité dégradée partout où c'est possible
  3. mobiliser tous les acteurs
  4. garantir les moyens d'atteindre ces ambitions.

Des actions spécifiques sont associées à chaque mesure, avec un calendrier et des modalités d’action qui leur sont propres. Le détail est présenté dans le « cahier des fiches mesures » publié par le gouvernement[3].

Parmi les grandes mesures proposées, on peut retrouver : 

  • L’annonce de financements alloués à la biodiversité, avec un budget inédit d’un milliard d’euros prévu pour 2024. Un plan de réorientation ou de suppression progressives des subventions néfastes à la biodiversité devrait aussi être élaboré à partir de 2024.
  • Une « protection forte » de 10% du territoire national (contre 4,2% aujourd'hui) d'ici à 2030. Le gouvernement y a aussi annoncé la création d’un autre parc national dédié aux zones humides, dont la localisation reste à déterminer.
  • Des ambitions renouvelées, par exemple sur l’artificialisation des sols (divisée par 2 d’ici 2030, dans le cadre de l’atteinte du ZAN en 2050) ou la réduction de l’usage des pesticides (plan Ecophyto 2030 en cours de consultation, avec pour objectif la réduction des usages et impacts des produits phytosanitaires de 50% par rapport à la période 2015-2017). D’autres pressions sont ciblées, comme la réduction de la pollution lumineuse, de la pollution plastique sur les littoraux, lutte contre les espèces exotiques envahissantes, etc.
  • Un plan de restauration national de la biodiversité, visant notamment la restauration des prairies naturelles, des haies, des zones humides, et des forêts.
  • Diverses mesures visant la sensibilisation, l’intégration, et la mise en action des acteurs publics et privés, par exemple par l’intermédiaires d’obligations de reporting ou de programmes d’accompagnement.  

Dans son ensemble, à l’exception de certains points spécifiques, la SNB ne prendra probablement pas la forme de règlementations contraignantes. Comme souligné par le cabinet de Sarah El Haïri “cette stratégie ne s'appuie sur aucune base légale existante et le gouvernement n'a pas la volonté de s'en doter d'une”[4] . Le déploiement de la SNB devrait s’appuyer sur une coopération avec les territoires, au travers des stratégies régionales biodiversité́ et de la mobilisation des acteurs territoriaux via l’organisation de COP régionales en 2024. Un suivi devrait aussi être assuré tous les ans, le gouvernement s’étant engagé à produire un retour annuel sur son avancement au Comité national de la biodiversité (CNB).

Quelles implications pour les entreprises ? 

Si la SNB n’a pas directement de portée contraignante pour les entreprises, elle laisse toutefois présager des orientations sectorielles nécessaires et de la systématisation d’exigences nouvelles pour les acteurs économiques. Au vu de l’échec des SNB précédentes, l’implication de l’ensemble des acteurs du territoire est cruciale pour espérer atteindre les objectifs annoncés ; les entreprises ont un rôle majeur à jouer.

Plusieurs points concernent directement ou indirectement les entreprises dans cette 3e SNB :

  • Sur l’axe 1 (« Réduire les pressions sur la biodiversité »), plusieurs mesures sont proposées pour accompagner les secteurs économiques considérés comme prioritaires : l’agriculture, la pêche, l’aquaculture, l’énergie, la construction, les infrastructures de transport, le tourisme et la culture (Mesures 12 à 18).
  • Sur l’axe 3 (« Mobiliser tous les acteurs »), la mesure 31 intitulée “accompagner l’engagement des entreprises pour la biodiversité” rassemble plusieurs actions qui concernent directement les entreprises[5] :
    • Le déploiement des obligations de reporting extra-financier, pour plus de transparence et de prise en compte des enjeux dans les stratégies d’entreprise: la CSRD, avec le standard ESRS E4 spécifique à la biodiversité, et la mise en œuvre de l’article 29 de la Loi Energie Climat.
    • L’accompagnement des entreprises dans la mise en œuvre du reporting et d’une prise en compte de la biodiversité dans leur stratégie. Notamment via l’accompagnement des TPE et TPM-PME par BPI France et l’Ademe dans le diagnostic de leurs enjeux biodiversité, et la massification du programme “Engagés pour la nature” de l’OFB.
    • Des cycles de travail avec les fédérations professionnelles et les entreprises pour favoriser la prise de conscience des acteurs économiques, et identifier les freins et leviers propres à chaque filière.
  • Enfin, sur l’axe 4 (« Garantir les moyens d’atteindre ces ambitions »), la mesure 39 vise notamment à “mobiliser les financements privés en faveur de biodiversité”. Parmi les objectifs : systématiser le reporting des impacts biodiversité des portefeuilles et des produits financiers, favoriser une prise en compte des enjeux biodiversité au sein des produits d’épargne, ou encore financer des projets de restauration de la biodiversité.

La SNB est-elle à la hauteur des enjeux ?

Le cadre international issu de la COP15 avait été salué comme historique par de nombreux acteurs, bien qu’il demeurât imprécis, comme nous l’avions souligné dans cet article. Lors de l’introduction de la SNB 2030, le ministre de l’environnement Christophe Béchu a annoncé qu’« il s'agit de la stratégie française pour la biodiversité la plus ambitieuse à ce jour ». On peut effectivement constater une ambition rehaussée par rapport aux SNB précédentes, dont les objectifs et moyens associés s’étaient avérés plutôt chétifs. En particulier, on peut cette fois-ci saluer l’annonce inédite de financements dédiés : c’est la première fois que la SNB sera dotée de moyens spécifiques, un budget d’un milliard d’euros pour 2024, entièrement consacré à l’eau et à la biodiversité.

Plusieurs points invitent toutefois à la vigilance. Tout d’abord, si les textes peuvent parfois paraître prometteurs, il est important de se rappeler que les objectifs des deux SNB précédentes, pourtant bien moins ambitieuses, n’ont absolument pas été atteints. En introduction de la publication de la SNB 2030, le gouvernement reconnaît lui-même que « les pressions affectant la biodiversité n’ont pas été réduites significativement par la stratégie précédente ». Idem dans le document bilan publié à propos de la 1e SNB. On pourrait craindre qu’une même cause, à savoir un texte non contraignant reprenant peu ou prou de grandes recommandations connues depuis des décennies, ne reproduise les mêmes effets. 

Ensuite, plusieurs ONG environnementales, institutions, et conseils nationaux ont fait part de leurs critiques sur le contenu de cette SNB durant le processus de préparation et révision du texte. Si ces remarques ont été partiellement prises en compte, plusieurs absences et imprécisions sont encore regrettées et pointées du doigt 

  • Alors que le secteur agricole est l’un des premiers concernés, aussi bien en termes d’impacts que de dépendances, la stratégie agricole proposée a été critiquée comme étant largement insuffisante. Les mesures sont principalement basées sur des programmes nationaux en cours de déploiement (plan eau, pacte en faveur de la haie, plan ecophyto, …) et l’ ambition annoncée semble miser beaucoup sur le Plan Stratégique National (PSN), déclinaison de la PAC qui ne devrait être révisée qu’en 2025. De plus, “malgré l’ambition affichée sur les haies ou les légumineuses, (…) les prairies ou la réaffirmation de la réduction de 50% des pesticides d’ici 2030, la stratégie renvoie la question des subventions agricoles dommageables à la biodiversité à une nouvelle mission d’inspection des services de l’État, moins d’un an après une première mission IGF/IGEDD qui les avait chiffrées à près de 7 milliards d’euros”[6].  Jean Burkard, directeur du plaidoyer WWF France, estime que « si elle n’intègre pas mieux l’agriculture dans sa stratégie pour la biodiversité, la France échouera à atteindre en 2030 8 des 23 cibles du cadre mondial de la biodiversité ».
  • En outre, comme critiqué précédemment à propos du cadre mondial pour la biodiversité (GBF) adopté lors de la COP15, aucune définition précise ne vient à ce jour normer le terme de “protection forte”, et ce qu’il implique en termes de gestion des aires protégées, laissant la place à de nombreuses interprétations[7].
  • Les plans de restauration sont aussi critiquables sur plusieurs points, comme une intégration a priori insuffisante de la biodiversité dans la gestion forestière annoncée[8].
  • On peut enfin déplorer que la lutte contre les subventions néfastes à la biodiversité ne soit pas encore à l’ordre du jour, sa réflexion étant repoussée à 2024. Si la mesure s’impose comme nécessaire, elle devra donc encore se faire attendre. Or il est difficile de croire qu’on pourra atteindre ces objectifs ambitieux d’ici à peine plus de six ans si l’on ne cesse pas très rapidement de financer des activités néfastes à la biodiversité avec de l’argent public, à hauteur de plusieurs milliards d’euros par an.

Il est aussi important de noter qu’une grande partie des mesures proposées reposent sur la mise en œuvre de programmes et de lois déjà adoptés, comme l’objectif ZAN sur l’artificialisation des sols ou le plan Ecophyto sur l’usage des pesticides. Au vu des difficultés et échecs rencontrés jusqu’à présent (échecs successifs des plans Ecophyto depuis 2008[9], nombreuses résistances et négociations vis à vis de la ZAN chez les élus locaux[10], etc.), la mise en œuvre de ces mesures représente un vrai défi ; leur effectivité reste donc à prouver dans les mois et années à venir. Face à ces enjeux, l’absence d’un cadre juridique contraignant pour l’essentiel des mesures risque malheureusement de priver le plan d’une portée plus importante.

La présence d’un calendrier avec des échéances formelles et des indicateurs pour le suivi des actions laisse toutefois espérer que le sort de cette SNB sera meilleur que celui des périodes précédentes. Un bilan des avancées sera effectué chaque année par le Comité national de la biodiversité. 

Quoiqu’il en soit, la mobilisation et l’implication de l’ensemble des acteurs, y compris des entreprises et des institutions financières, sera primordiale pour permettre de vrais changements ; tout comme la mise en place d’une gouvernance efficace et d’une véritable coopération avec la société civile. 


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