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22 décembre 2022
Auteurs et autrices : Arthur Pivin, Léa Prunier

COP15 biodiversité : un accord historique, mais imprécis et non-contraignant

Tandis que l’attention générale était tournée vers la coupe du monde de football, une partie d’un autre genre se jouait à Montréal : la COP15, ou 15e conférence des parties de la Convention sur la Diversité Biologique. Lundi 19 décembre, les 196 parties ont adopté un nouveau plan stratégique devant guider l’action internationale jusqu’en 2030, le « Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal ». Cet accord est historique, mais on peut déplorer son caractère non contraignant, ainsi que l’imprécision parfois problématique de plusieurs des objectifs énoncés. Carbone 4 vous propose un décryptage.

Des COP pour la biodiversité ? 

Peu de temps après la fin de la COP27 à Charm el-Cheikh, la COP15 s’ouvrait le 7 décembre dernier à Montréal. Bien moins médiatisées que leurs analogues pour le climat, les COP pour la biodiversité découlent elles aussi d’un traité multilatéral adopté lors du sommet de la Terre à Rio en 1992 : la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Cette convention affiche trois grands objectifs : 

  • La conservation de la biodiversité ;
  • L’utilisation durable de ses éléments ;
  • Le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques.

Tous les deux ans, les 196 parties de la CDB se réunissent lors de « conference of parties » (COP) pour examiner les progrès accomplis, établir des priorités et décider de plans de travail. 

Et du travail, il y en a. Dans son rapport de 2019 sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES[1] estime que 75% des milieux terrestres et 66% des milieux marins sont « sévèrement altérés » par les activités humaines. Le nombre total d’espèces animales et végétales menacées d’extinction dans les prochaines décennies est évalué à 1 million[2]. En moins d’un demi-siècle, les effectifs de plus de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers[3]. « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine - et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier » alerte l’IPBES dans son rapport. Les chiffres sont criants : il y a urgence à agir pour enrayer l’effondrement du vivant.  

Une COP attendue mais retardée

Dans ce contexte de prise de conscience croissante des limites planétaires, dont celle, déjà dépassée, de la biodiversité, la COP15 s’est fait attendre. Initialement programmée à Kunming (Chine) en octobre 2020, elle a été reportée à plusieurs reprises du fait de la crise sanitaire. Une première partie a finalement eu lieu en octobre 2021, majoritairement en distanciel, et a abouti à la déclaration de Kunming : un ensemble de 17 objectifs généraux devant guider les négociations. Après plusieurs reports, la deuxième partie de la COP a finalement été décalée à Montréal, du 7 au 19 décembre 2022. 

En amont, cette COP était présentée comme la plus importante de la décennie. Souvent comparée à la COP21 sur le climat, l’espoir de déboucher sur un « accord de Paris » pour la biodiversité était partagé par de nombreux acteurs. Son objectif central ? Finaliser et adopter le Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020[4]. Celui-ci devait remplacer le Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, cadre adopté par les parties lors de la COP10 à Nagoya et arrivé à échéance en 2020. Parmi les objectifs (dits « d’Aichi ») de ce précédent plan, aucun n’avait été atteint dans les délais impartis. C’est donc sur ce bilan assez sombre que la COP15 devait rebondir afin de construire un nouveau cadre d’action pour la prochaine décennie. 

Les négociations pour la rédaction de l’accord ne partaient pas d’une page blanche : des propositions de texte avaient déjà été élaborées par un groupe de travail depuis 2021. Mais, malgré quatre sessions de travail préalables, à quelques jours de l’ouverture de l’évènement de nombreux passages du texte demeuraient « entre crochets », c’est-à-dire qu’ils étaient encore objets de désaccords entre les parties. Une 5e session préparatoire a eu lieu juste avant le début de la COP pour tenter de débloquer ces points. 

Cette COP revêtait donc un enjeu majeur, celui de fournir une trajectoire d’action internationale à la hauteur de l’urgence ; et ceci après 2 ans de reports, de divergences importantes entre les pays, et d’un échec notoire sur la période précédente. Pourtant, et contrairement à la COP27 sur le climat, aucun chef·fe d’État n’était présent·e sur place, laissant craindre un manque d’implication politique sur le sujet de la biodiversité.

Un accord signé in extremis 

Les négociations furent particulièrement difficiles les premiers jours, les parties peinant à trouver un accord sur de nombreux points, avec une cristallisation particulière des tensions sur la question des financements. Après deux semaines de négociations intenses et la proposition d’une nouvelle version de texte par la Chine, la texte a finalement été adopté dans la nuit du 18 au 19 décembre, juste avant la clôture de l’événement. 

Certains pays ont dénoncé un passage en force pour l’adoption de l’accord. Alors que toute décision nécessite en principe d’être prise par consensus entre les 196 parties, certains pays (dont le Congo) étaient encore en désaccord au moment de l’adoption finale, notamment à propos des subventions proposées aux pays du Sud. Le Cameroun et l’Ouganda ont ensuite dénoncé un passage en force de la part de la présidence de la COP. 

Ainsi, après avoir fait planer le risque d’une absence d’accord, les parties sont finalement parvenues à s’aligner sur un nouveau plan stratégique pour la période 2022-2030, au travers de l’adoption du « Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal », dont le texte officiel est disponible ici.

L’objectif général est d’enrayer et d’inverser le déclin de la biodiversité, afin de contribuer à la “vision à 2050 de vivre en harmonie avec la nature”. Pour cela, le cadre détermine : 

  • 4 grands objectifs à long-terme (2050)
  • 23 cibles pour l’action à horizon 2030, présentés dans la section suivante
  • Des mécanismes de planification, de suivi, de révision, des indicateurs à utiliser, etc. dans des documents conjoints

Les objectifs 2030 du « cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal »

La cible emblématique du cadre de Kunming-Montréal est d’atteindre 30% d’aires (marines, côtières, terrestres, et d’eaux douces) protégées au niveau mondial à horizon 2030 (Cible 3). Deux autres cibles centrales complètent ce point : réduire la perte des zones de forte importance pour la biodiversité à "proche de zéro" d’ici à 2030 (Cible 1), et restaurer "au moins 30 %" des aires dégradées d’ici à 2030 (Cible 2).

Sur la dimension économique, le cadre prévoit une réduction des subventions néfastes pour la biodiversité à hauteur de 500 Md$/an d’ici à 2030 (Cible 18). Ce point concerne en grande partie les subventions données à l’agriculture conventionnelle. Par ailleurs, une mobilisation de 200 Md$/an en faveur de la biodiversité d’ici à 2030 est aussi annoncée, dont au moins 25 Md$/an et 2025 et 30 Md$/an en 2030 à destination des pays du Sud(Cible 19). Ces sommes regroupent l’ensemble des financements dédiés au vivant, qu’ils soient publics ou privés. Ils seront gérés au sein du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). 

Pour l’agriculture, le cadre fixe un objectif de réduction d’au moins 50% des risques liés aux pesticides d’ici 2030 (Cible 7). Il invite par ailleurs à une « gestion durable » dans les secteurs de l’agriculture, l’aquaculture, la pêche, et la foresterie (Cible 10).

Le texte évoque aussi le rôle que peuvent jouer les entreprises et les institutions financières, et celles-ci étant « encouragées » à évaluer et à rendre public leurs risques, dépendances et impacts sur la biodiversité (Cible 15). 

Autre cible bien définie, une réduction de 50% du taux d’introduction d’espèces envahissantes est visée pour 2030 (Cible 6). La question du partage équitable des bénéfices liés aux ressources génétiques est également évoquée dans le cadre (Cible 13) mais la définition des modalités précises est renvoyée à la COP16, qui aura lieu en Turquie. Avancée notable, les droits et l’importance des peuples autochtones sont reconnus en bonne et due place dans différentes parties du texte.

Un accord bienvenu, mais non contraignant et souvent imprécis

L’adoption du cadre de Kunming-Montréal représente une avancée importante, d’abord car il établit une référence internationale pour l’action pour le vivant, mais aussi car certains des objectifs qu’il énonce sont ambitieux. Mais plusieurs points restent flous, et laissent une grande place à l’interprétation. Par ailleurs, comme pour l’accord de Paris, on peut regretter que cet accord ne soit pas contraignant. 

Aires protégées et restauration

L’objectif d’atteindre 30% d’aires protégées est parfois présenté comme l’équivalent d’un « objectif 1.5°C » pour la biodiversité, mais il est pourtant loin d’être aussi englobant ou aussi ambitieux. D’abord, l’inversion de l'érosion de la biodiversité ne pourra être atteinte au travers de cette seule cible. Par ailleurs, le texte n’impose aucun critère quant à la qualité de la protection (ou de la restauration pour la cible 1), ce qui laisse une grande place à l’interprétation. Sans précisions supplémentaires, ces cibles « emblématiques » sont en quelques sorte des coquilles vides. Par exemple en France, bien que les zones maritimes protégées représentent plus de 30% du territoire maritime, moins de 2% d’entre elles sont réellement sous protection stricte ; sur les 28% restant, la pêche industrielle et les activités extractives y sont autorisées, continuant d’y détruire des écosystèmes[5].

Enfin, bien que ce chiffre de 30% soit ambitieux (actuellement, seuls 17% des terres et 8% des mers sont placés sous statut de protection), certains scientifiques estiment qu’environ 50% de la surface terrestre devrait être protégée pour stopper l’érosion de la biodiversité[6].

Financement

Côté financement, si les montants cibles représentent un doublement par rapport aux niveaux actuels[7], ils restent bien inférieurs aux 500 à 700 Md$/an jugés nécessaires par certains observateurs (par exemple Julien Rochette de l’Iddri[8]) pour la mise en œuvre du cadre. De même, le montant alloué aux pays du Sud, bien qu’en hausse notable, est considéré comme insuffisant par un grand nombre d’entre eux, qui demandaient un soutien de 100 Md$/an. Et, au-delà des montants fixés, la provenance de l’argent n’est pas précisée, et donc le déblocage de ces sommes reste incertain. D’autant que, contrairement à ce qui était défendu par plusieurs pays et ONG, il n’y aura pas de fond spécifique dédié à la biodiversité. 

Agriculture et pesticides

Sur les pesticides, il est à noter que la cible 7 (des « -50% »), sujette à de nombreuses oppositions, ne porte pas directement sur une réduction de l’usage des pesticides mais seulement sur les « risques » associés. Comme pour les aires protégées, cette formulation peut laisser une grande part à l’interprétation. Toutefois, comme le souligne l’écologue Paul Leadley, il peut être plus efficace de cibler les risques que volumes épandus, en raison d’une toxicité variable des produits utilisés[9].

Relativement à l’exigence d’une « gestion durable » dans les secteurs de l’agriculture, l’aquaculture, la pêche, et la foresterie, le texte mentionne des solutions (par exemple « l’agroécologie », mais aussi « l’intensification durable » ou « d’autres approches innovantes ») sans donner de critères précis.  

Plusieurs absences à déplorer

Le cadre ne fait aucune mention de la pêche industrielle, pourtant première source de destruction des écosystèmes marins. De même, on ne retrouve aucune mention de l’élevage ou de l’alimentation carnée, alors même que les cultures pour l’alimentation animale augmentent fortement le besoin en surfaces agricoles et que leur extension se fait généralement au détriment de milieux naturels[10]. Bien que la nécessité de diminuer la consommation de produits d’origine animale soit un constat partagé par le GIEC et l’IPBES, aucune cible n’aborde explicitement ce point[11].

Par ailleurs, le texte ne propose aucune règlementation pour les entreprises, et ne mentionne aucun objectif sur la réduction de l’empreinte écologique des systèmes productifs. 

Un texte souvent imprécis et jamais contraignant

Enfin, certains points restent très abstraits, sans chiffres ni dates butoirs : le texte appelle par exemple à des actions urgentes pour stopper les extinctions d’espèces liées aux activités humaines sans préciser davantage (Cible 6), et plusieurs passages font référence à l’éducation et la sensibilisation des décideurs et de la société civile, mais sans jamais formuler d’obligation ni d’objectif chiffré. 

Ces nombreuses zones d’ombres de l’accord, ainsi que son caractère non contraignant, typique des textes globaux établis par consensus entre les pays, ont été pointés du doigt par plusieurs observateurs. Pendant toute la durée de l’évènement déjà, de nombreuses manifestations dénonçaient des conférences « hypocrites » qui n’aboutiraient qu’à un maintien du statu quo.

L’introduction d’un mécanisme de suivi

Pour ne pas reproduire les erreurs du précédent cadre mondial, l’accord adopté introduit un mécanisme de suivi de la mise en œuvre du cadre, mécanisme absent des objectifs d’Aichi. Le cadre prévoit ainsi une analyse des Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Biodiversité (NBSAP) lors de chaque COP, accompagné d’un suivi global des progrès pour les COP17 (2026) et COP19 (2030)[12]. Face à l’urgence de la situation, la mise en place d’un processus de suivi plus régulier que les habituelles périodes décennales était nécessaire. 

Il revient donc désormais aux états de rédiger ou d’actualiser leurs stratégies nationales avant la COP 16 (2024), puis de mettre en place les règlementations adéquates. En France, la révision de la Stratégie Nationale Biodiversité (SNB) est prévue pour début 2023.

Une bonne nouvelle pour le vivant ?

La majorité des acteurs impliqués sur place et des médias relatant l’évènement s’accordent pour qualifier cet accord d’historique. 

Sur de nombreux plans, le cadre adopté signale une avancée substantielle par rapport aux négociations internationales précédentes, saluée d’autant plus fortement au vu des premiers jours de négociations fastidieuses et du contexte général (manque d’investissement à haut niveau dans les milieux politiques, manque de couverture médiatique, guerre en Ukraine, coupe du monde de football, etc.). En particulier, la rehausse proposée des ambitions sur l’action internationale, la couverture assez large du cadre, et la mise en place d’un mécanisme de suivi sur des temps courts, ont été saluées. 

On notera toutefois plusieurs absences ou points d’importance évincés des textes, et quelques objectifs très imprécis, non chiffrés et/ou non datés. Notamment car il exige un consensus, le processus de décision des COP a souvent pour conséquence la production de textes peu concrets et non contraignants, laissant aux états une large marge d’interprétation.

En particulier, la cible emblématique des 30% d’aires protégées est assez caractéristique de l’ensemble de l’accord : une rehausse importante des ambitions par rapport aux accords passés, mais aussi des lacunes fondamentales sur la mise en place effective (quels critères pour la protection ?) qui laissent la porte ouverte à beaucoup de scénarios, y compris les plus cyniques (des zones au statut “protégé” mais où des activités destructrices pour le vivant peuvent continuer à avoir lieu).

Si, dans l’ensemble, cet accord permet d’envoyer un signal clair (et historique) pour une mobilisation internationale en faveur de la biodiversité — notamment en pointant du doigt les problèmes et en évoquant certaines solutions —, rien n’est acquis à ce stade. Le plus important reste en effet à venir : l’impact de cet accord dépendra entièrement de la mise en pratique effective des objectifs énoncés, et donc de la façon dont les états et les entreprises se les approprieront pour les décliner en lois, mesures et plans d’action. Les stratégies nationales qui devront être proposées par les états signataires dans les mois à venir permettront d’en avoir un premier avant-goût, à commencer par la SNB de la France, dont la révision est prévue pour début 2023.

Ressources / Pour aller plus loin

Les autres documents associés : 

 


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