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13 février 2024
Auteurs et autrices : Clémence Lacharme, Jean-Yves Wilmotte, Morgane Le Guen, Virginie Wauqiez, Mireille Martini

Faire sa part avec son argent, partie 1 : le compte courant

Messages clés

  1. Choisir sa banque et placer son argent est 1 des 4 leviers principaux pour faire sa part dans la transition bas carbone (consommation, vote, travail, argent). Ces 4 leviers ne s’additionnent pas et ne se compensent pas, ils sont à actionner simultanément.
  2. Avec un montant moyen de 14 000€ par personne en 2023, un compte courant français aurait un impact carbone estimé à 7tCO2e selon les dernières données disponibles du simulateur Rift (attention, ne s’additionne pas et ne compense pas les émissions liées à la consommation moyenne de ~10tCO2e d’un individu en France). L’impact carbone des comptes courant vient principalement du fait que les dépôts augmentent la capacité d’octroi de prêts des banques, dont les politiques de financement sont plus ou moins vertueuses pour le climat.
  3. Pour décarboner notre compte courant, 3 moyens d’action sont à portée de main :
    1. bien choisir sa banque et changer de banque le cas échéant
    2. utiliser son droit de regard sur sa banque et chercher à l’engager dans la transition bas carbone
    3. vider son compte courant au maximum pour ceux qui le peuvent, sans risquer d’être à découvert, soit en le dépensant pour réduire son empreinte carbone (ex : rénovation), soit en le plaçant sur des produits d’épargne finançant la transition bas carbone

 

Introduction

À l’échelle de l’individu, les actions les plus directes pour réduire son empreinte carbone concernent les émissions liées à sa consommation ou à ses investissements personnels (immobilier, automobile). Mais on montre, dans la publication Faire sa part[1], qu’un changement systémique est nécessaire en plus des actions individuelles. Dans notre contribution possible à ces actions systémiques, il y a l’engagement citoyen et politique, le choix de son employeur, mais aussi le choix de l’orientation de son argent. En effet, l’argent que nous déposons à la banque a un impact carbone, que ce soit sur un compte courant ou sur un compte épargne. 

En tant que citoyen, nous avons donc un pouvoir de décarbonation significatif avec le choix de notre banque. Pourtant, la prise de conscience de ce levier de décarbonation semble encore balbutiante. Est-ce lié à une appréhension du monde financier qui paraît parfois complexe ? Le lien entre compte bancaire et émissions de gaz à effet de serre manque-t-il de transparence ? Et que penser des nouveaux acteurs financiers, comme les « néobanques » vertes, dont l’ambition communiquée est de dépolluer la banque ? 

Dans cet article, nous vous proposons de nous pencher sur la capacité de contribution à la transition bas carbone de nos comptes courants.

1. Banques traditionnelles, banques en ligne, banques éthiques, « néobanques », « écobanques » … de quoi parle-t-on ? 

Principaux acteurs du secteur bancaire en France

Dans les années 1990, le marché bancaire en France a connu une vague de consolidation où les fusions-acquisitions se sont multipliées pour faire apparaître des grands groupes bancaires à l’échelle nationale. Depuis les années 2000, le secteur financier se diversifie et de nouveaux types d’acteurs émergent aux côtés des banques traditionnelles : 

  • Les banques traditionnelles : ce sont les grandes banques historiques qui offrent la gamme de services bancaires la plus large du secteur, adressent tous types de clients et disposent d’une présence physique via leurs agences. Les banques traditionnelles offrent toutes un service de détail, c’est-à-dire un service aux particuliers qui leur permet entre autres d’ouvrir un compte courant. Si certains de ces acteurs historiques commencent à se positionner sur le financement de la transition bas carbone, la plupart ont cependant une stratégie climat insuffisante pour pouvoir contribuer significativement. Parmi les banques traditionnelles, on peut distinguer les banques classiques des banques mutualistes (ou coopérative) par leur actionnariat et leur gestion : les premières sont des sociétés anonymes possédées par des actionnaires investisseurs, les secondes sont détenues par leurs propres clients qui en sont sociétaires. Au sein d’une banque mutualiste, les clients peuvent participer à une partie de sa gestion en votant, ce qui n’est pas le cas pour une banque classique. Exemples de banques traditionnelles classiques en France : BNP Paribas, Société Générale. Exemples de banques traditionnelles mutualistes en France : Crédit Mutuel, BPCE, Crédit Agricole.
  • Les banques privées : ce sont des banques qui offrent des services bancaires personnalisés et étendus. Destinées aux personnes aisées, ces banques se spécialisent dans la gestion des portefeuilles financiers et du patrimoine. Une valeur minimale de patrimoine est exigée pour pouvoir être client de ces banques, pouvant s’élever à 1 million d’euros. Les banques privées peuvent être un département d’une banque traditionnelle ou bien une petite banque spécialisée. Exemples de banques privées en France : BNP Paribas Wealth Management, Société Générale Private Banking, Edmond de Rothschild, Banque Palatine, Milleis Banque Privée.
  • Les banques en ligne : ce sont des banques 100% en ligne, apparues à partir des années 1990 avec la généralisation d’internet. Elles appartiennent souvent à une banque de détail en France et proposent par conséquent une large gamme de services bancaires à différents types de clients. Exemples de banques en ligne en France : Hellobank appartient à BNP Paribas, Boursorama à Société Générale, BforBank au Crédit Agricole.
  • Les acteurs au positionnement éthique : ce sont des entités financières dont les produits sont conditionnés à un impact social ou environnemental positif. Elles soutiennent notamment des projets locaux, des entrepreneurs sociaux ou le monde associatif. La transparence et la coopération sont au cœur de leur fonctionnement. En 2023, aucun label ou norme n’existe pour définir une « banque éthique » donc nous préférerons parler d’acteurs au positionnement éthique. Exemples d’acteurs au positionnement éthique : Triodos, le Crédit Coopératif. En France, La NEF est une institution financière avec un positionnement éthique mais n’est pas une banque en tant que telle car elle ne dispose pas de l’agrément bancaire (licence pour octroyer des prêts, voir plus bas).
  • Les « néobanques » : malgré leur nom, la plupart ne sont pas des banques. En effet, ce sont souvent des startups qui ne disposent pas de l’agrément bancaire. Dans ce cas, elles sont adossées à de vraies grandes banques (ex : Société générale pour Lydia, BNP Paribas pour Nickel). Les « néobanques » proposent des services 100% en ligne et disponibles via une application. Elles sont apparues dans les années 2000 avec la généralisation des smartphones. Les « néobanques » ont souvent la particularité de se spécialiser sur une catégorie de clients : les adolescents, les personnes âgées, les entrepreneurs, etc. N’ayant pas toujours tous les agréments nécessaires à l'exercice d'une activité de gestion des dépôts et de crédit, les « néobanques » proposent moins de services bancaires qu’une banque traditionnelle et misent sur une ergonomie digitale performante. Par exemple, la création d’un compte bancaire en 10 minutes sur une application sans courrier ni conseiller. Avec une approche ciblée de leur clientèle, les « néobanques » développent une offre sur mesure pour répondre à leurs besoins spécifiques comme la proposition d’outils de comptabilité automatisés à partir du compte en banque pour la clientèle des entrepreneurs par exemple. Exemples de « néobanques » : Lydia, Revolut, N26.
  • Les « écobanques » sont une sous-catégorie des « néobanques » qui se concentrent sur le segment des clients engagés pour protéger l’environnement. Le préfixe « éco » fait référence à un positionnement sur l’écologie et sera discuté dans le chapitre 4 de cet article. En France, ces « écobanques » ne sont pas des banques puisqu’elles n’ont pas d’agrément bancaire. Elles doivent donc être adossées à des groupes bancaires pour proposer des comptes courants. Exemples en France : Helios (adossée à Solarisbank), Greengot (adossée à Crédit Mutuel Arkea), Onlyone (adossée à Société Générale).

Les banques traditionnelles sont de loin celles qui ont le plus de clients et qui collectent le plus d’argent. Leur bilan est de l’ordre de 700 à 3000 milliards d’euros chacune en France. À l’inverse, les « écobanques » sont nées très récemment en France (2020) et collectent donc encore peu d’argent, soit quelques millions d’euros. Enfin, bien que les acteurs au positionnement éthique soient nés bien avant les « écobanques », ils sont encore loin des montants collectés par les banques traditionnelles en 2023 avec des dépôts de l’ordre du milliard d’euros. 

Les acteurs financiers ne sont pas tous égaux face à la réglementation. En effet, il existe différents types de licences plus ou moins difficiles à obtenir auprès des autorités de contrôle bancaire (l’ACPR en France, Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution). Ces licences sont un droit à fournir des services financiers auprès de ses clients, dont voici les principales pour le secteur bancaire : 

  1. Établissement de crédit bancaire (ou « agrément bancaire ») : permet de proposer des crédits à ses clients. C’est la licence de loin la plus difficile à obtenir, avec le délai d’obtention le plus long car la Banque Centrale Européenne (BCE) étudie également le dossier au côté de l’ACPR pour décider de la délivrance de la licence. L’octroi de cet agrément vérifie notamment que l’établissement dispose d’assez de fonds propres et de liquidités pour faire face au risque de défaut (clients qui ne remboursent pas leurs prêts) ou encore au risque de panique bancaire (ruée des clients pour retirer des liquidités aux guichets). En effet, au-delà d’impacter la santé de l’établissement, ces risques peuvent générer de l’instabilité financière plus largement. Ainsi, le processus d’obtention de l’agrément bancaire est particulièrement exigeant et demande aux établissements de prouver leur capacité suffisante en fonds propre. Un établissement de crédit peut également proposer des services de paiement à ses clients.
  2. Établissement de crédit spécialisé : permet d’effectuer certaines opérations de banque mais pas la totalité. L’agrément précise le ou les domaines dans lesquels l’établissement est spécialisé, dont les plus courants sont : le crédit à la consommation, le crédit-bail mobilier, le crédit-bail immobilier, le crédit aux entreprises, l’affacturage et les cautions et garanties. Ainsi, ces établissements ne sont pas des « banques » et s’en distinguent notamment par 2 restrictions : périmètre d’activité restreint et interdiction de prêter plus d’argent qu’ils n’en ont collecté (là où les banques sont autorisées à prêter plus d’argent qu’elles n’en collectent).
  3. Établissement de paiement : permet de proposer des services de retrait d’espèces, de versement d’espèces, de virements, de prélèvements et de délivrer des instruments de paiements à ses clients comme une carte bancaire. Le délai d’obtention est de 3 à 6 mois en moyenne.
  4. Établissement de monnaie électronique : permet de proposer des services d’émission et de gestion de monnaie électronique ainsi que des services de paiement comme pour un Établissement de paiement. Le délai d’obtention est de 1 à 3 mois en moyenne.
  5. Agent prestataire de service de paiement (Agent PSP) : permet de proposer des services de paiement à ses clients sous la tutelle d’un mandataire qui possède la licence d’Établissement de crédit, de paiement ou de monnaie électronique. Le délai d’obtention de cette licence est très court car c’est le mandataire qui a la responsabilité de vérifier le sérieux de son agent alors que l’ACPR ne fait que s’assurer que le mandataire contrôle bien les déclarations de son agent via quelques pièces justificatives. L’agent PSP collecte les fonds de ses clients et propose des services de paiement à ses clients. En revanche l’agent PSP n’est pas autorisé à manipuler les fonds collectés auprès de ses clients puisqu’il n’a pas la licence associée : c’est le mandataire qui gère l’argent collecté.
Principales licences du secteur bancaire en France au 31/12/2023
Source : ACPR - Banque de France

Dans les faits, les « écobanques » en France ne sont pas des banques en 2023. En effet, l’ACPR a rappelé en 2021 que le terme « banque » ne peut être utilisé que lorsque l’entreprise possède une licence d’Établissement de crédit. En 2023, les « écobanques » françaises sont toutes des Agents PSP affiliées à un mandataire : Helios à Solaris, Greengot à Crédit Mutuel Arkea, OnlyOne à Société Générale via Treezor.  

Quant aux acteurs au positionnement éthique, ils ne sont pas tous des banques non plus car ils ne disposent pas tous de l’agrément bancaire en 2023. C’est le cas de la NEF qui est une coopérative de finance éthique et non une banque à fin 2023. Elle dispose de la licence d’Établissement de crédit spécialisé mais pas encore de celle d’Établissement de crédit par manque de fonds propres. Afin de respecter la réglementation de l’ACPR un établissement de crédit doit posséder au moins 10% du montant de chaque projet financé. Sans ce ratio de fonds propre, l’établissement n’est pas autorisé à utiliser l’épargne de ses clients pour financer des projets. Pour pallier ce handicap et devenir totalement indépendante, la NEF a lancé en 2022 son opération « Big Banque » afin de lever des fonds et obtenir l’agrément auprès de l’ACPR. En attendant, elle reste adossée au Crédit Coopératif, membre du groupe BPCE.

L’utilisation du terme « banque », « néobanque » ou encore « écobanque » par des acteurs qui n’ont pas de licence d’Établissement de crédit peut être sanctionnée de 3 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende. Par abus de langage, nous utiliserons le terme « écobanque » dans cet article pour se référer aux « néobanques » qui se spécialisent sur la clientèle engagée pour la protection de l’environnement, quelle que soit la licence dont elles disposent. 

Délivrance de l’agrément bancaire et affiliation pour bénéficier de l’agrément bancaire

2. Compte courant versus épargne, de combien parle-t-on ? 

Lorsque nous confions notre argent à la banque, nous avons 2 options : 

  1. le déposer sur notre compte courant, aussi appelé compte chèque ou compte de dépôt ou compte à vue. Notre dépôt n’est pas rémunéré mais il est disponible à tout moment pour payer nos dépenses quotidiennes.
  2. le placer sur des produits d’épargne : livrets (livret A, livret de développement durable et solidaire, livret jeune, etc.), assurances vies, plans d’épargne (Plan d’épargne logement, Plan d’épargne retraite, Plan d’épargne actions, etc.) et autres produits financiers. La rémunération et la disponibilité de ce placement dépend de chaque produit d’épargne.

Dans cet article, nous nous concentrons sur l’impact carbone de notre compte courant. Alors que l’épargne représente 7 fois plus d’argent que les comptes courants en France en 2023, les comptes courants atteignent presque 800 milliards d’euros. Ce montant est particulièrement impressionnant car ramené au nombre de personnes de 16 ans ou plus, il constitue un dépôt moyen français de 14 000€ par personne en 2023[2],[3]. À noter bien entendu que cette moyenne masque une grande disparité des dépôts parmi les Français. 

Montants des comptes courants et des comptes épargne français en 2023
Source : Banque de France

Les montants des comptes courants n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, en doublant entre 2014 et 2023. La tendance des dépôts français est à la hausse, que ce soit en valeur absolue ou ramené au nombre de personnes. Cela s’explique notamment par les faibles rendements des placements sûrs ainsi que par la méfiance vis-à-vis des placements dans un contexte financier incertain.

Évolution des dépôts français entre 2014 et 2023
Sources : Banque de France & Insee

Le compte courant a un rôle particulièrement intéressant à jouer dans la transition bas carbone, et ce pour plusieurs raisons : 

  • Représentativité : l’argent du compte courant concerne quasiment 100% des citoyens alors que l’épargne ne concerne que les personnes les plus aisées. En 2017, les 20% des Français les plus aisés pouvaient épargner 16 000€ par an en moyenne contre 360€ par an en moyenne pour les 20% des Français les moins aisés selon l’Insee[4]. Ainsi, tout le monde a un moyen d’action via son compte courant, à minima via le choix de sa banque.
  • Quantité : le montant des comptes courants français est de l’ordre de 800 milliards d’euros au total et de 14 000€ par personne en moyenne. On peut donc imaginer qu’une partie de cet argent pourrait être déposée sur des produits d’épargne finançant la transition bas carbone.
  • Opacité : l’argent sur un compte courant n’est pas fléché pour financer un projet précis (opacité), alors que l’argent sur un produit d’épargne peut l’être (transparence possible). Dans la mesure du possible, une partie de notre argent sur compte courant pourrait donc être utilisée à meilleur escient.
  • Actionnabilité : en choisissant sa banque pour ouvrir un compte courant, un déposant choisit aussi indirectement le niveau d’ambition et de transparence du placement de son argent (compte courant et épargne). Ainsi, choisir sa banque constitue un pouvoir de vote à portée de main.

3. Quelle est l’empreinte carbone de mon compte courant et d’où vient-elle ? 

L’empreinte carbone de notre compte courant vient du fait que nos dépôts et dépenses permettent indirectement à notre banque de financer des projets plus ou moins carbonés (selon ses politiques de financement), en particulier :

  1. Nos dépôts augmentent la capacité de financement de notre banque. Plus une banque a de dépôts, plus elle peut octroyer de crédits. La banque choisit à qui elle octroie des crédits. Selon l’engagement de la banque pour le climat, ces crédits octroyés peuvent aider des projets plus ou moins néfastes pour le climat. C’est de loin ce qui impacte le plus l’empreinte carbone de nos comptes courants.
  2. Nos virements et remises de chèques génèrent un revenu à notre banque. Entre le moment où notre banque reçoit effectivement l’argent et le fait apparaître sur notre compte courant, elle dispose d’un temps pour placer notre argent.  Ce délai entre le jour où notre banque a reçu les fonds sur son compte à la Banque Centrale et le jour où ils nous sont crédités s’appelle le « float ». Le float est fixé à 3 jours maximum pour les remises de chèques et à 24h pour les virements (plus longtemps pour l’étranger). Cette trésorerie positive peut non seulement contribuer à financer des projets plus ou moins carbonés choisis par la banque, mais elle peut aussi générer des bénéfices à la banque qui peut décider de les réinvestir de façon plus ou moins carbonée.
  3. La gestion de nos comptes courant génère un revenu à notre banque. Cela comprend notamment l’émission de notre carte bancaire, les échanges avec nos conseillers bancaires, la gestion des découverts, ou encore nos paiements par carte bancaire. Ce dernier point est souvent moins connu, on l’appelle les frais d’interchange ou commission d’interchange. Par exemple lorsque nous achetons un livre de seconde main à 5€ à la librairie du quartier avec notre carte bancaire, la librairie va en réalité recevoir moins de 5€ car elle devra verser quelques centimes de frais d’interchange à des intermédiaires, dont notre banque. Si ces revenus de gestion de compte génèrent des bénéfices à notre banque, comme pour tout bénéfice, notre banque peut les utiliser pour absorber ses coûts et/ou pour les réinvestir de façon plus ou moins carbonée.

Avant d’en venir aux ordres de grandeurs, il est important de rappeler que l’empreinte carbone de notre consommation et l’empreinte carbone financée par notre argent ne peuvent être additionnées en raison des doubles comptes. Compter les émissions du secteur financier, celles des agents économiques et celles de la consommation des particuliers revient à mesurer la même réalité de manière différente. 

Les émissions liées à notre argent déposé dans les banques sont indirectement causées par les activités des entreprises financées par le secteur bancaire. Lorsque ces entreprises opèrent, elles génèrent des émissions de gaz à effet de serre que nous retrouvons indirectement dans notre utilisation quotidienne de produits et services. Par conséquent, combiner ces émissions avec celles de nos propres actions de consommation entraînerait une triple comptabilisation des mêmes émissions, ce qui n'est pas approprié pour une évaluation précise de notre impact carbone.

Par conséquent, agir sur sa consommation, sur son engagement citoyen et politique, sur son travail et sur le placement de son argent ne se compensent pas. Il faut agir sur chacun de ces leviers simultanément. L’action sur un des leviers ne peut justifier l’absence d’action sur un autre. Par exemple participer à un crowdfunding pour développer une centrale solaire ne compense pas le fait de prendre l’avion fréquemment. 

Il est nécessaire qu’un mouvement massif ait lieu pour permettre aux acteurs au positionnement éthique et aux banques les plus vertueuses de prendre de l’ampleur ainsi que pour montrer aux banques non engagées dans la transition qu’il faut changer. Comme pour le changement dans notre façon de consommer, le changement dans notre façon de placer notre argent nécessite un effet de masse. Si une seule personne devient végétarienne, la production de viande ou poisson responsable d’émissions conséquentes ne diminuera pas car la filière ne se réorganisera pas, alors que si 50% de la population devient végétarienne, la production s’adaptera à la demande et la filière reverra probablement son offre pour subsister (qualité, quantité, etc.). Pour l’argent c’est similaire, si une seule personne change de banque pour un acteur au positionnement éthique, celui-ci ne pourra pas se développer et les banques non engagées dans la transition ne verront pas cela comme un signal pour changer. 

Représentation des émissions de gaz à effet de serre mondiales de 3 façons

Venons-en aux ordres de grandeur. En 2023, l’empreinte carbone annuelle de 1 000€ sur un compte courant français moyen est estimée à 0,5tCO2e selon les dernières données disponibles dans le simulateur Rift qui s’appuie sur une logique de transparisation des portefeuilles financiers entre l’actif et le passif (les émissions liées aux financements et investissements à l’actif permettent de calculer une intensité moyenne qui est transposée aux fonds du passif). Le dépôt moyen français de 14 000€ par personne en 2023 a donc une empreinte carbone annuelle estimée à 7tCO2e. Réfléchir au placement utile de son argent sur compte courant est donc loin d’être négligeable dans sa contribution individuelle à la décarbonation. Cela n’est évidemment pas à la portée de tous. Cependant, lorsqu’on observe une moyenne de dépôt à 14 000€ par personne, on peut facilement imaginer que l’argent de certains comptes courants pourraient être utilisés ou placés à meilleur escient pour contribuer à la transition bas carbone. 

Ordres de grandeurs sur l’empreinte carbone d’un compte courant français en 2023

4. Les « écobanques » peuvent-elles nous aider à décarboner notre compte courant ?

Dans le monde, les deux « écobanques » les plus développées sont Aspiration aux États-Unis créée en 2015 et Tomorrow en Allemagne créée en 2018. Elles comptabiliseraient respectivement 5 et 0,07 millions de clients 7 et 4 ans d’existence. En France, les « écobanques » sont apparues plus récemment en 2020, il en existe principalement 3 en 2023 : Helios, Greengot et OnlyOne. Elles ont attiré plus de 20 000 clients en France en 2 ans d’existence et voient leur nombre de clients augmenter rapidement. Est-ce une bonne nouvelle ? Comment savoir si une « écobanque » est sérieuse sur le sujet du climat ? Faut-il rejoindre une « écobanque » pour décarboner son compte courant ? 

Sans conseiller d’aller dans une institution financière plutôt qu’une autre, nous souhaitons proposer un éclairage sous un angle climat et une grille de lecture pour que tout un chacun puisse se poser les bonnes questions et faire des choix les plus éclairés possible. 

Pour commencer, qu’est-ce qu’une « écobanque » ? Les « écobanques » en France sont pour la plupart des start-ups qui proposent des comptes courants et d’épargne ainsi que des solutions de paiement. Leur raison d’être communiquée est de protéger l’environnement et en particulier de limiter le changement climatique. 

Dans « écobanque », on entend « écologie » et « banque ». 

Concernant l’aspect « banque », les « écobanques » ne sont pas des banques car elles n’ont pas d’agrément bancaire. Elles disposent de la licence d’Agent Prestataire de Services de Paiement (Agent PSP) et sont donc affiliées à une banque pour pouvoir collecter l’argent et délivrer leurs services de paiement : Helios à Solaris, Greengot à Crédit Mutuel Arkea via PPS, OnlyOne à Société Générale via Treezor. 

En ce qui concerne l'aspect « écologie », la situation est plus complexe et nécessite une analyse approfondie plutôt qu'une approche binaire. Si les « écobanques » communiquent sur leur ambition de faire avancer le secteur bancaire en matière de climat, il est nécessaire de dépasser le message marketing et d’analyser des considérations techniques plus en détail pour comprendre si une « écobanque » est sérieuse ou non sur le sujet du climat. 

1. Les principaux points positifs de l’arrivée des « écobanques » pour le climat

  • La sensibilisation des particuliers à l’impact carbone de l’argent, en vulgarisant et faisant parler du sujet plus largement pour augmenter l’intérêt des particuliers pour les institutions financières au positionnement éthique (ex : la NEF a vu son nombre de clients croître rapidement depuis 2020[5], croissance portée entre autres par la communication des « écobanques »).
  • L’innovation dans le secteur bancaire qui bouscule les acteurs traditionnels en les amenant à remettre en question leur modèle pour servir davantage la transition bas carbone. Cela pourrait avoir un impact quand on voit ce qui s’est passé pour l’alimentation bio dans le marché de la grande distribution par exemple : l’arrivée de nouvelles enseignes bio a bousculé les acteurs historiques de la grande distribution qui ont dû revoir leur stratégie et proposent désormais des étales complètes de bio.
  • La contribution au financement de projets vertueux, soit directement via le financement de projets décarbonant l’économie à partir de leurs propres fonds, soit indirectement via leurs offres en mettant en relation des particuliers et des projets décarbonant l’économie (exemples : offre d’assurance vie fléchant sur des supports financiers à impact, offre de réductions sur des achats chez des commerçants engagés pour l’environnement).

2. Les principales limites du modèle des « écobanques »

  • La dépendance à un mandataire. Les « écobanques » françaises étant toutes des Agents PSP actuellement, elles sont toutes adossées à une banque traditionnelle. Les dépôts des clients de l’« écobanque » entrent au bilan de la banque puisque la banque est le coffre-fort de l’« écobanque ». Ces dépôts augmentent la capacité de la banque mandataire à faire des prêts, prêts qui peuvent financer des projets carbo-intensifs si la banque n’a pas pris d’engagement forts pour l’environnement. Ainsi, tant qu’une « écobanque » n’est pas une banque, son intensité carbone dépend de celle de la banque traditionnelle mandataire. De même, pour s’assurer que l’« écobanque » ne finance pas les énergies fossiles, il faut s’assurer que la banque traditionnelle mandataire n’ait pas d’exposition fossile.
  • Une gamme d’offres limitée. L’éventail des services possibles des « écobanques » est composé des paiements, virements, prélèvements et solutions d’épargne. N’étant pas des banques, les « écobanques » ne peuvent pas délivrer de prêts. Or en général, les banques qui fournissent des prêts exigent la domiciliation du compte courant chez elle. Sans compter qu’ouvrir deux comptes dans des établissements différents multiplie les frais bancaires et les transactions. Ainsi, les particuliers qui ont besoin de prêt vont plutôt avoir tendance à rester dans les banques traditionnelles, ce qui limite l’expansion des « écobanques » tant qu’elles ne peuvent pas octroyer de prêts, c’est-à-dire tant qu’elles ne sont pas des banques.
  • Des échelles de temps et de volume non alignées avec l’enjeu climatique 
    • Échelle de temps : le GIEC estime dans son 6ème rapport de 2022 que nous avons 3 ans pour contenir la croissance de nos émissions de gaz à effet de serre avant d’arriver à un pic en 2025 pour ensuite réduire nos émissions de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019 afin de rester sous les 1.5°C de réchauffement climatique par rapport à l’ère préindustriel. Il faut donc agir vite pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, développer une agriculture durable et protéger nos forêts. Le GIEC insiste même sur la nécessité, et ce dès maintenant, de fermer de manière prématurée une partie des infrastructures de charbon, gaz et pétrole. Le climat n’attendra donc pas la croissance des « écobanques » qui risque de prendre encore quelques années.
    • Échelle de volume : alors que les « écobanques » françaises collectent quelques millions d’euros, les banques traditionnelles les plus carbonées sont à plusieurs centaines de milliards de bilan. Même les institutions financières au positionnement éthique installées depuis plus longtemps que les « écobanques » ne dépassent pas quelques milliards d’euros de bilan. Les montants en jeu sont trop importants pour que les « écobanques » suffisent. Il va falloir transformer les gros acteurs en place via des règlementations contraignantes en matière de climat et d'environnement.

3. Proposition de questions pour évaluer une « écobanque » sur le critère climat : 

Le média Vert a collecté un certain nombre de réponses à ces questions dans son article sur les « néobanques »[6].

Pour conclure sur le sujet des « écobanques », elles proposent une alternative qui va prendre du temps à se construire. Elles tentent de faire bouger les lignes et de sortir d’un système bancaire qui continue de financer une économie à 4°C. Cependant, les « écobanques » ne suffiront pas à elles seules à décarboner le secteur bancaire pour des raisons d’échelle de temps et de volume. Il est donc nécessaire que le gouvernement, l'Union européenne et les multinationales du secteur financier fassent également leur part, en mettant en place des réglementations ambitieuses pour engager les banques traditionnelles et en prenant de réels engagements pour décarboner le secteur et le rendre acteur de la transition bas-carbone

5. De manière générale, comment décarboner notre compte courant ? 

Nous avons pu voir que notre compte courant a une empreinte carbone significative qui provient principalement du fait que les dépôts augmentent la capacité de notre banque à faire des prêts pour des projets plus ou moins carbonés. Pour réduire cet impact, que pouvons-nous faire en tant que citoyen ? Comment savoir si une banque est verte ou non ? Et que faire si nous sommes bloqués dans une banque par un crédit auquel nous avons souscrit par le passé ? Voici quelques bonnes pratiques pour utiliser le pouvoir de notre compte courant au service de la transition bas-carbone : 

  1. Choisir sa banque de façon éclairée et changer de banque le cas échéant. C’est le principal levier du compte courant. Il n’y a pas de choix parfait, mais il y a des choix meilleurs que d’autres. Alors que les banques promettent toutes d’être Net Zero à 2050, comment savoir si une banque est plus « verte » qu’une autre ? Certaines banques ont déjà pris des engagements de sortie des énergies fossiles et sont plus sérieuses sur le sujet du climat que d’autres. Nous vous recommandons de ne pas vous arrêter aux arguments marketing verts et d’aller creuser les considérations techniques suivantes :
    1. Périmètre des engagements de la banque : est-ce que la banque s’engage à décarboner seulement ses opérations ou bien également son activité de financement et d’investissement ?
    2. Ambition des engagements de la banque : quelles sont les politiques sectorielles sur le charbon, le pétrole et le gaz ? Sur les autres secteurs émissifs ? Sont-elles des politiques d’exclusion de nouveau projets d’expansion ou seulement de réduction ? À quel horizon de temps sont-elles prises (2020 ? 2030 ? 2040 ? 2050 ?) ? Couvrent-elles les fossiles conventionnels ou uniquement les non-conventionnels ? En effet, la combustion d’énergie fossile est responsable de plus de 50% des émissions de gaz à effets de serre dans le monde en 2019[7]. Par conséquent si une banque continue à financer de nouveaux projets d’expansion d’énergies fossiles, elle ne peut pas être crédible sur le sujet du climat. En 2023 la plupart des banques françaises ont une politique sectorielle d’exclusion du charbon : les plus ambitieuses s’engagent à une sortie totale du charbon à 2027-2030, les moins ambitieuses à 2040. Quant à leur politique sectorielle sur le pétrole et le gaz, elle est souvent très insuffisante pour plusieurs raisons : périmètre incomplet (souvent rien sur le conventionnel), engagement de réduction, ambition de réduction faible. Comme l’a rappelé l’Agence Internationale de l’Énergie en 2021[8], l’objectif Net Zero à 2050 nécessite qu’« aucun nouveau champ pétrolier ou gazier » ne soit développé, et donc financé. Et comme souligné par Welsby & al.[9], « pour conserver 50% de chance d’arriver à une température de +1.5 °C, 90 % du charbon et 60 % du pétrole et du gaz connus doivent rester dans le sol ».
    3. Tangibilité des engagements de la banque : quelles sont les actions concrètes derrière l’engagement de Neutralité Carbone ? Est-ce uniquement une action de communication qui fait gagner du temps à la banque en faisant distraction ou est-ce un plan d’action chiffré, piloté au plus haut niveau et communiqué publiquement ? Y a-t-il une volonté à réduire les émissions ou simplement à compenser les émissions en plantant des arbres ? Est-ce que la banque a inscrit ses objectifs dans ses statuts en devenant une société à mission ?
    4. Taille de la banque : ne pas s’arrêter à la taille de la banque. Ce n’est pas parce qu’une banque est petite, qu’il y a nécessairement absence de greenwashing. Et inversement, ce n’est pas parce qu’une banque est installée depuis plusieurs années qu’elle n’est pas engagée à réduire son impact sur le climat et à contribuer à la transition bas-carbone.
  2. Si nous sommes bloqués par un crédit dans une banque, plusieurs leviers s’offrent à nous :
    1. Refinancer son prêt si cela est possible, c’est-à-dire rembourser son prêt par anticipation et contracter un nouveau prêt dans une nouvelle banque plus vertueuse, de façon à s’émanciper de la banque initiale.
    2. Utiliser son droit de regard. En étant client d’une banque, nous avons accès à des informations concernant l’activité de la banque. Ces informations sont utiles pour nous permettre de prendre des meilleures décisions en tant que client de la banque, pour échanger avec les employés de la banque afin de faire évoluer les pratiques de l’établissement ou encore pour informer la société sur cet établissement. Dans cet objectif, la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) d’une banque est une bonne source d’informations. Au sein des banques mutualistes, la banque est détenue par ses propres clients qui peuvent donc participer à une partie de la gestion de la banque en votant. Pour les banques cotées, les clients peuvent investir dans une action et ainsi commencer un engagement avec la banque vers la transition bas carbone.
    3. Placer son épargne ailleurs. Un prêt exige souvent que nos revenus soient domiciliés dans notre banque, mais il ne nous oblige en rien à placer notre épargne dans cette même banque. Pour les bonnes pratiques concernant l’épargne, une publication de Carbone 4 vous sera proposée prochainement.
  3. Ne pas laisser trop d’argent sur son compte courant pour ceux qui le peuvent, sans risquer d’être à découvert, et préférer faire agir son argent pour financer la transition. Avec une moyenne de 14 000 euros de dépôt par français, il est possible de réduire ce montant, d’autant plus dans un contexte d’inflation forte qui réduit la valeur des dépôts non rémunérés. Pour cela, il existe 2 options utiles à la transition bas carbone : dépenser son argent pour réduire son empreinte carbone (ex : rénovation de son logement, changement de véhicule) ou bien placer son argent sur des produits d’épargnes traçables qui permettent de financer la transition avec évaluation carbone sérieuse à l’appui. Ce levier est donc important puisqu’en plus d’éviter à notre argent d’être néfaste pour l’environnement, il le rend plus utile à la transition.

 

Conclusion 

Si la finance peut paraître parfois complexe, c’est pourtant un levier intéressant à l’échelle de l’individu pour contribuer à la transition bas carbone. Notre argent déposé à la banque a un impact carbone significatif. Il est important de prendre conscience des moyens d’action dont nous disposons pour réduire cet impact et contribuer à la transition, notamment : choisir une banque engagée, utiliser son droit de regard sur sa banque pour l’engager, utiliser l’argent de son compte courant pour réduire son empreinte carbone personnelle (ex : rénovation) ou le placer sur des produits d’épargne traçables pour financer des projets décarbonant l’économie avec évaluation carbone sérieuse à l’appui.

La décarbonation de nos comptes courants est intéressante car elle implique le choix de notre banque. Quant à notre épargne, son potentiel de décarbonation et de contribution à la transition est grand : les montants sont significatifs, la traçabilité des financements est possible (choix des projets financés par notre argent), et donc leur évaluation carbone rigoureuse également, ce qui en fait le levier principal pour contribuer en tant qu’individu à la transition bas carbone avec son argent. 

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