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22 novembre 2019

Comprendre l’usage des scénarios énergie-climat en 5 points : analyse du rapport du Shift Project pour l'AFEP

Lundi 18 novembre, The Shift Project a publié le rapport « Scénarios énergie-climat, évaluation et mode d’emploi »  suite à une demande de l’AFEP (Association Française des Entreprises Privées) qui souhaitait mieux comprendre les différents enjeux liés à l’usage de ces scénarios. Carbone 4 l’a passé au crible et vous en restitue l’essentiel.

1. Le changement climatique embarque une transformation systémique

Le changement climatique induit deux risques majeurs qui pèsent sur nos systèmes : les risques physiques et les risques de transition.

Les risques physiques sont liés au changement climatique en tant que tel et à notre capacité d’adaptation. Le changement climatique se manifeste notamment à travers une fréquence et une intensité accrue d’événements météorologiques extrêmes, tels que des inondations, des épisodes de canicules ou de sécheresses, qui peuvent venir perturber les chaînes d’approvisionnement voire endommager des actifs d’une entreprise ou des infrastructures. En octobre 2018 les niveaux d’étiage étaient si bas que le trafic fluvial du Rhin, première voie fluviale européenne, a dû être interrompu. Cela a fortement affecté l’industrie allemande car une partie de son approvisionnement transite par le fleuve. À titre d’exemple, le poids lourd de la chimie BASF a dû interrompre la production d’une de ses usines, avec une perte estimée par l’entreprise à hauteur de 250 M€. En février 2019, Pacific Gas & Electricity Company (PG&E), l’équivalent d’EDF en Californie, qui alimente 16 millions de foyers a déclaré faillite après avoir été considéré responsable d’une centaine d’incendies dont le total des dommages est estimé à une trentaine de milliards de dollars, somme dont ne dispose pas cette entreprise. 

Les risques de transition sont les risques liés à la lutte contre le changement climatique et à une dynamique de réduction forte et rapide des émissions de gaz à effet de serre. Ultimement, cela consiste à inscrire le « terrain de jeu » de l’économie à l’intérieur des limites physiques humainement vivables de notre planète (dont un système climatique stable fait partie), ce qui aurait pour effet de transformer en profondeur l’ensemble des activités économiques actuelles. L’industrie automobile est par exemple actuellement sujette à des exigences fortes en termes de réduction d’émissions. L’Union Européenne impose en effet aux constructeurs des objectifs d’émissions de CO2 à l’échappement très ambitieux : à horizon 2021, ils devront atteindre en moyenne 95gCO2/km (sachant qu’aujourd’hui, la moyenne en Europe se situe à 120gCO2/km) et ensuite, en l’espace de dix ans (entre 2021 et 2030), ils devront respecter un rythme de baisse de -4%/an, alors que le rythme de baisse constaté entre 2005 et 2016 a été de -3%/an. 

Des opportunités de transition sont également associées à ce type de risque, telles que le développement de solutions faiblement émissives ou de produits dits « bas carbone ». C’est le cas de la voiture électrique lorsqu’elle se déploie dans des régions où l’électricité est faiblement carbonée, ainsi que l’hydrogène, par exemple, vecteur énergétique également faiblement carboné lorsqu’il est produit par électrolyse dans ce type de région.

2. Dans un contexte de décarbonation de l’économie, une nouvelle approche est nécessaire pour la réflexion stratégique des entreprises

Les deux familles de risques précités sont porteuses d’impacts systémiques pour les activités économiques. Elles soulignent clairement que la réflexion stratégique au sein de la direction générale d’une entreprise ne peut plus se contenter de fonder des décisions majeures en extrapolant les tendances passées pour anticiper l’évolution économique. Dans le contexte dynamique et évolutif du changement climatique et de la lutte pour réduire les émissions de GES, une « [mise] en œuvre [d’]une analyse prospective régulière à partir de scénarios énergie-climat pluriels, décrivant les processus possibles d’atténuation et d’adaptation au changement climatique » (recommandation n°2 du rapport) est recommandée pour appréhender les risques et opportunités pour les activités de l’entreprise. 

Qu’est-ce que l’analyse par scénario ? 

Elle consiste à confronter les activités actuelles de l’entreprise à une pluralité de futurs cohérents et plausibles. L’idée est d’analyser de quelle manière ces activités seraient impactées, positivement comme négativement, dans une logique de raisonnement « what if ». Cet outil d’analyse puissant est bien plus développé que la simple réalisation d’une matrice de risques : celle-ci est pourtant aujourd’hui communément utilisée à haut niveau pour appréhender stratégiquement les conséquences du dérèglement climatique. Concrètement, cette analyse nécessite en premier lieu « d’identifier, parmi les déterminants qui dimensionnent les activités d’une entreprise et ses marchés, ceux qui pourraient être significativement affectés par le changement climatique et la transition bas-carbone » (recommandation n°1).  

3. La construction de narratifs constitue la première brique de cette approche

Des narratifs, ou autrement dit des histoires qui décrivent qualitativement le monde construit par le scénario sous différents angles (économique, technique, énergétique, social, environnemental, organisation de la société, modes de vie, …) sont indispensables pour bien appréhender la cohérence et l’orientation du scénario. Cela permet ainsi d’identifier « l’évolution de l’environnement d’affaires de l’entreprise compte-tenu des enjeux énergie-climat. » (recommandation n°3) et alors d’orienter les décisionnaires dans ces différents chemins possibles de transition.  

4. Recourir à des scénarios quantitatifs est une seconde étape essentielle pour la prise de décision

La construction de narratifs est nécessaire pour s’immerger dans la réflexion. Cependant prendre des décisions stratégiques fondamentales pour l’entreprise nécessite également de s’appuyer sur une approche quantitative. La démarche quantitative d’analyse par scénario doit alors en priorité se fonder sur les « déterminants physiques qui dimensionnent les activités et les marchés de l’entreprise. » et analyser leurs évolutions pour anticiper les risques et opportunités futures (recommandation n°4 du rapport. En effet, cela s’avère indispensable dès lors que la transition vers une société bas-carbone (contrainte par un budget carbone donné) est perçue comme porteuse de transformations systémiques, et que l’approche économique classique n’intègre pas les éléments permettant d’intégrer ces ruptures.  

5. Répondre au besoin de scénarios alternatifs fondés sur des approches innovantes de modélisation

Les scénarios proposés par l’Agence Internationale de l’Energie adoptent des hypothèses économiques et techniques parfois très optimistes et donc contestables. C’est le cas des considérations suivantes : une croissance économique constante, une amélioration notable de l’efficacité énergétique de l’activité économique ou encore un déploiement massif de la capacité de capture et stockage géologique du carbone. En outre, les hypothèses économiques sont exogènes, c’est-à-dire qu’elles ne prennent en compte ni la réalité physique sous-jacente (qui pourrait les remettre en question), ni les externalités négatives de l’activité économique sur sa capacité future à croître. D’autres scénarios sont donc nécessaires pour permettre aux entreprises d’avoir à disposition une matière première de réflexion stratégique, via l’analyse par scénario, qui soit diverse et contrastée. Ces scénarios doivent être fondés sur des approches innovantes de modélisation et des hypothèses plus raisonnables, permettant ainsi de prendre en compte les boucles de rétroaction entre notre économie et les limites physiques de la planète. Afin de répondre à ce besoin, le rapport préconise « d’engager le dialogue avec des producteurs de scénarios énergie-climat publics afin de stimuler une offre de scénarios diversifiés et plus adaptés aux entreprises et d’encourager et de participer à la création de consortiums d’entreprises dont la mission serait de développer des scénarios adaptés à leurs besoins » (recommandation n°5).   

L’équipe du pôle Stratégie


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Stratégies bas-carbone