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19 juillet 2022
Auteurs et autrices : Florian Zito

Séquestration de carbone en France : le signal d’alarme du Haut Conseil pour le Climat

Le 29 juin dernier, le Haut Conseil pour le Climat[1] a publié son dernier rapport annuel « Dépasser les constats : mettre en œuvre les solutions » qui alerte sur le retard pris par la France en matière de séquestration de carbone.

Les puits de carbone, déterminant clé pour atteindre la neutralité carbone

Leviers incontournables pour atteindre la neutralité, la filière forêt-bois et l’utilisation des terres constituent des axes importants de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), qui a établi pour la France des objectifs ambitieux en la matière : absorber sur le territoire 40 millions de tonnes de CO2 par an en 2030, et environ 80 MtCO2 en 2050, contre 14 MtCO2 en 2020[2]. Cette stratégie, qui doit permettre à la France d’équilibrer en 2050 les émissions et les puits générées à l’intérieur de ses frontières, repose notamment sur la quantité de carbone captée par les sols agricoles et prairies (-19 MtCO2 / an, soit +1 %/an), et sur la substitution du bois à d’autres matériaux et produits (-21 MtCO2 / an, soit +6 % / an par rapport à 2015) – le carbone demeure séquestré à l’intérieur du bois d’œuvre durant la vie du produit ; le pari des produits bois consiste ainsi à éviter les émissions générées par les matériaux auxquels le bois se substitue, tout en maintenant le stock total de carbone séquestré.  

La France, en retard sur les objectifs fixés dans la Stratégie Nationale Bas Carbone

Dans son rapport, le Haut Conseil pour le Climat alerte cependant sur le retard pris par la France au regard des objectifs qu’elle s’est elle-même fixé dans le cadre de la SNBC, retard d’autant plus préoccupant que le budget carbone établi pour la période 2015-2018 a déjà été dépassé[3] : « En 2020, l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre dressé par le CITEPA établit la contribution de l’UTCATF[4] à -14 Mt éqCO2 contre -38 Mt éqCO2 retenus dans la SNBC2 »[5]

Figure 2.3.1 – Émissions et puits du secteur UTCATF depuis 1990 et trajectoires SNBC2 - « Dépasser les constats : mettre en œuvre les solutions », Haut Conseil pour le Climat 

Le constat tient en grande partie à l’ « effondre[ment] »[6] des puits forestiers, dont la capacité de stockage a « baissé de 48 % [par rapport à] 2010 »[7] en raison d’une diminution de la production biologique, d’une plus forte mortalité (sécheresses, tempêtes, incendies, prolifération de scolytes), et d’une augmentation des prélèvements (50,1 Mm3 par an entre 2011 et 2019, contre 42,4 sur la période 2005-2013). Cette hausse des coupes ne se traduit cependant pas par un stockage accru dans les produits bois, dont la capacité atteint 0,8 MtCO2e en 2020, contre 3,4 MtCO2e en 2010 : la hausse des volumes de bois commercialisé entre 2014 et 2019 repose ainsi en grande partie sur la production à des fins énergétiques (+3,4 % par an, contre +0,3 % en moyenne toutes filières confondues)[8]. Outre la filière forêt-bois, le Haut Conseil pour le Climat relève également dans son rapport une nette diminution de la capacité de stockage des prairies (8,3 MtCO2e en 2020, contre 9,7 MtCO2e en 2010) du fait des conversions en terres cultivées, ou du retournement des sols. 

La nécessité de politiques publiques ambitieuses pour améliorer la résilience des puits

Dans un contexte de changement climatique et d’effondrement de la biodiversité, propice à fragiliser davantage encore la capacité de stockage de carbone sur le territoire (l’actualité marquée par les incendies en Gironde nous le rappelle tristement), la détérioration des puits amorcée depuis dix ans en France appelle une plus grande vigilance et des politiques publiques à la hauteur des enjeux, tenant compte à la fois des impératifs liés au carbone, et des enjeux de biodiversité (également mentionnés dans la SNBC) : les efforts à engager pour atteindre nos objectifs seront sans doute plus élevés que ceux initialement attendus et doivent être amorcés dès maintenant. Certaines initiatives, comme les Assises du bois et de la forêt, y concourent, mais demeurent encore insuffisantes : malgré l’investissement d’1,4 milliard d’euros consenti à cette occasion, seul 0,3 % du couvert forestier métropolitain sera concerné par les mesures. La place de choix accordée aux produits bois (près de 30 % des puits de la filière forêt-bois en 2050), doit par ailleurs s’accompagner d’une politique de filière volontaire, fondée sur des « investissements massifs dans les usines de transformation », et sur une réorientation des usages, priorisant l’utilisation du bois récolté pour le bois d’œuvre plutôt qu’à des fins énergétiques, comme le rappelle le rapport rédigé par I4CE en février 2022[9]. En cas d’échec, le pari des produits bois, qui suppose une augmentation des récoltes, aurait pour seul effet d’endommager la séquestration biologique. 

Le secteur agricole détient lui aussi l’une des clés pour atteindre les objectifs fixés par la SNBC : historiquement émetteur net, il doit contribuer à la neutralité en divisant ses émissions par deux environ d’ici à 2050, et en doublant quasiment le volume de gaz à effet de serre qu’il séquestre. Sa réussite repose sur la préservation des prairies (moindre retournement des terres, plantations de haies), et sur le développement de l’agroforesterie.

La pluralité des défis associés aux puits de carbone (climat, biodiversité, économie, aménagement du territoire…) rend à la fois leur gestion ardue, mais cruciale : le suivi des objectifs établis en la matière doit à ce titre faire l’objet d’une attention accrue, sous peine de reporter davantage encore l’effort à engager sur les années à venir. 


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