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22 novembre 2022
Auteurs et autrices : Victoire Ravillon, Louis Delage

Black Friday, de bonnes affaires sauf pour le climat

À l’approche du Black Friday et des fêtes de fin d’année, la vente en ligne bat tous les records et augmente de plus de 60% par rapport à un jour habituel [1]. Généralisé et dopé par la pandémie, le e-commerce a réussi en seulement quelques années à s'imposer comme une tendance durable : il représente environ 17,1% du chiffre d'affaires des ventes mondiales de 2022, et pourrait continuer à progresser à 21% en 2025. Cette année, un milliard de colis nous ont été livrés en France, soit 4 millions par jour : principalement des habits, équipements électroménagers ou encore objets connectés.

Cette nouvelle dynamique d’achat interroge quant à ses répercussions sur le climat, car bien que le e-commerce se traduise par un panel de situations plus ou moins émissives que le commerce traditionnel (voir notre article précédent), son développement extrêmement rapide induit une croissance des émissions du transport, notamment du fret aérien.

Le e-commerce, une nouvelle chaîne logistique internationale qui favorise le fret aérien 

Contrairement au commerce traditionnel où les marchandises sont transportées pour répondre à la demande plus régulière des magasins, les colis issus des achats en ligne doivent s’adapter à la demande. Permettant de réduire le temps de transit des marchandises et d’éviter les ruptures de chaînes logistiques, l’avion a ainsi assuré 80% des envois transfrontaliers du e-commerce en 2021, selon l’IATA [2].

Ainsi à l’échelle mondiale, tandis que le volume de fret transporté pourrait augmenter de 29% à horizon 2026 [3], le fret aérien est lui prévu pour doubler, notamment grâce au e-commerce [4]. Il ne représente actuellement que 0,5% du volume total de marchandises transportées, en tonnes.km [5], mais se développe fortement, notamment pour répondre aux exigences des consommateur·ices toujours plus pressé.es. Ainsi, les acteurs du transport aérien de fret se saisissent de cette opportunité :

  • Les constructeurs aéronautiques développent de nouveaux avions cargo porteurs géants [2] pour répondre au boom du e-commerce ;
  • Les transporteurs, comme Fedex, investissent fortement dans l’ajout de centres de tri dans les aéroports, en estimant que le e-commerce serait responsable de 80% de la croissance du transport de colis [6] ;
  • Les entreprises de commerce en ligne, comme Amazon, investissent dans leurs propres compagnies aériennes (Amazon Air).

Les produits achetés en ligne ont donc plus de chance d’être transportés en avion, ce qui peut avoir un impact climatique considérable (voir graphe ci-dessous). Ainsi, pour 0,5% des marchandises transportées, l’aviation pèse pour 17% des émissions de gaz à effet de serre du fret, en incluant les effets hors CO2 [7]. L’augmentation du fret aérien pourrait générer une hausse des émissions annuelles du transport de fret de 240 MtCO2e à horizon 2026 [8], soit l’équivalent d’1/3 de l’empreinte carbone des Français·es [9].

À titre d’exemple pour une petite enceinte portative, l’impact carbone de sa fabrication hors transport est de 8 kgCO2e [10]. Si cette enceinte est transportée en avion depuis une usine de fabrication en Indonésie jusqu’à un entrepôt parisien, les émissions associées au transport s’élèvent à 6,3 kgCO2e [11], contre 0,1 kgCO2e si elle avait été transportée en bateau [12].

Des entrepôts au consommateur final, le transport des colis du e-commerce peut aussi être source d’émissions importantes

Après avoir été transportés à l’international, les colis du commerce en ligne doivent ensuite être livrés chez le consommateur final, ce qui fait aussi naître de nouveaux enjeux climatiques : 

  • Le “dernier kilomètre”* est encore dominé par les véhicules utilitaires légers (VUL) thermiques, bien adaptés à la livraison en milieu urbain, mais très émissifs. Or, la taille du véhicule influe beaucoup sur les émissions (plus il est gros, plus les émissions sont amorties au regard de la charge utile), ce qui plaide en faveur des modes de transport comme les poids lourds, plus utilisés dans le cadre du commerce traditionnel (voir graphique). Et si certains acteurs permettent une livraison moins émissive en véhicule électrique voire en vélo-cargo, il s’agit souvent de zones urbaines où le consommateur aurait pu faire ses achats à pied ou en vélo.
  • Les émissions du transport d’un produit sont fortement liées au taux de remplissage du véhicule. Les livraisons pour le e-commerce étant souvent individualisées pour répondre aux contraintes de délai imposées par les consommateur·ices, ces véhicules sont en général peu remplis, surtout pour les livraisons très rapides, cœur des stratégies des entreprises de vente en ligne.

Ainsi sur le “dernier kilomètre”*, le e-commerce est souvent plus émissif que le commerce traditionnel, sauf en se comparant à une personne qui se rendrait seule en voiture thermique en magasin pour acheter le même produit.

Facteurs d’émissions de CO2 par moyen de transport (en gCO2e/t.km) - ADEME

Alors que le secteur du transport est le premier poste d’émissions en France et peine à réduire ses émissions, le développement du e-commerce génère une augmentation des émissions associées à l’acheminement des marchandises. Avec des contraintes de délais toujours plus fortes, les modes de transports traditionnels tels que le bateau s’effacent pour laisser place à de nouveaux modes plus carbonés : l’avion ou la livraison directe. Pour contrer ce phénomène, chacun a son rôle à jouer (voir notre article précédent). Aussi difficile sera-t-il de ne pas “craquer” devant les promotions de ce “Black Friday”, la lutte contre le changement climatique nous invite plutôt à nous détacher des compulsions consuméristes provoquées par de telles stratégies commerciales … et à nous demander si ce robot de cuisine à moitié prix est vraiment nécessaire.

 

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*Sémantique qui ne doit pas être interprétée littéralement : le segment terminal est en général plus long, puisqu’il relie le dernier entrepôt logistique, situé en général en banlieue ou dans les faubourgs des villes, au client final, potentiellement à bien plus qu’un kilomètre de l’entrepôt.


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