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8 septembre 2022
Auteurs et autrices : Nicolas Meunier

La sobriété fait son entrée dans l’aviation

Cela est peut-être passé inaperçu au début de l’été, mais alors que le transport aérien européen est confronté à une crise opérationnelle liée à une reprise du trafic dépassant toutes ses prévisions pour « repartir comme avant » la crise COVID, le gouvernement néerlandais a annoncé qu’il souhaitait limiter le nombre de « slots », (créneaux de décollage autorisés), de l’aéroport d’Amsterdam à 440 000 par an à partir de novembre 2023, versus 500 000 autorisés aujourd’hui, soit une réduction de 12%[1].

Les principales raisons évoquées pour justifier la décision sont le bruit et la pollution de l’air (NOx) car cela fait partie d’accords avec les habitants de la métropole d’Amsterdam. Mais le changement climatique est aussi mentionné, et nul doute qu’il a fait partie de la décision[2].

C’est une nouvelle de taille, car Schiphol est justement le 1er aéroport européen, et 9ème mondial, en termes de mouvements, et le précédent ministre néerlandais des infrastructures avait au contraire proposé en 2019 une augmentation à 540 000 slots par an. Il est vrai qu’il y a toujours la possibilité d’autoriser l’autre aéroport d’Amsterdam, Lelystad, à démarrer des opérations commerciales pour compenser, mais là aussi le gouvernement reste très mesuré, ajournant la décision à l’été 2024.

Ainsi, après l’abandon d’extensions aéroportuaires (Notre-Dame des Landes à Nantes en 2018, 4ème terminal à Roissy-Charles de Gaulle en 2021), vient maintenant la réduction du trafic, signe de la montée en maturité climatique concernant le secteur aérien. 

Cette mesure est une excellente nouvelle car elle s’attaque à un levier tabou dans l’aviation : la sobriété (i.e. la réduction du trafic). 

Jusqu‘à présent, les principales mesures climatiques déployées par l’aviation concernent l’efficacité énergétique (renouvellement de flotte, éco-pilotage) qui peut facilement induire un effet rebond (moins on consomme, plus on peut voler avec la même quantité de kérosène). Plus récemment s’est développée la décarbonation du vecteur énergétique, avec l’avènement des biocarburants d’aviation durables et des e-carburants (voir notre article à ce sujet). Mais pour atteindre un objectif 2°C, l’aviation ne pourra certainement pas faire l’impasse sur la sobriété, comme le montre le graphe ci-dessous.

Evolution des émissions de CO2 (combustion uniquement) du transport aérien mondial (hors régional), respectant un budget 2°C défini par l’ISAE Supaéro

Même dans le cas très optimiste d’un développement fort des leviers technologiques et d’une production de carburants alternatifs égale à la consommation de kérosène actuelle (~300 Mt), une modération de la croissance est nécessaire pour respecter le budget carbone.

Concernant la réduction du trafic, un des leviers les plus efficaces (car assez simple à mettre en œuvre) est de limiter le nombre de créneaux de décollages. Attention, cela n’implique pas nécessairement que l’activité aérienne (mesurée en passager.km) et donc que les émissions vont diminuer, car un effet pervers induit par cette mesure est de remplacer des vols de courte distance par des vols de plus longue distance, plus rémunérateurs mais aussi plus émetteurs, et d’utiliser des appareils avec une capacité d’emport plus importante (bien que plus efficaces en intensité carbone par passager.km). Mais cela réduit à minima la croissance des émissions car sans contrainte sur les slots, les deux types de vols, courte et longue distance, auraient décollé. Cette contrainte reste donc bénéfique car elle incite naturellement à supprimer les vols pour lesquels il existe des alternatives en bus ou train . De plus, elle favorise l’optimisation du remplissage des avions (même si les compagnies aériennes travaillent déjà ardemment dessus) et donc l’efficacité énergétique.

De fait, organiser une forme de modération de la croissance de l’activité (sans parler de sa réduction) est un défi considérable pour l’aviation commerciale, comme pour bien d’autres secteurs (le transport routier de personnes et de marchandises par exemple). Les résistances sont bien compréhensibles puisque cela fait des décennies que l’ensemble des acteurs de l’écosystème aérien (et notre monde économique en général) sont focalisés sur une croissance indéfinie, attachée à un imaginaire de progrès et de mieux-être pour la société. La crise climatique, couplée à la situation de finitude des ressources, impose de revoir cet objectif … avec un Everest à gravir qui est celui de concilier modération de trafic et équité (entre pays, entre voyageurs d’un même pays, selon les motifs, etc.), tout en poursuivant les investissements dans les technologies de décarbonation. L’histoire de l’aéronautique au XXème siècle a montré sa capacité sans égale à relever les défis pour la faire passer d’un rêve inaccessible à une industrie mature, alors gageons que ses acteurs et actrices sont capables de relever celui de la fin de la croissance ! 

Toujours est-il qu’actuellement, la compagnie nationale néerlandaise KLM, le gestionnaire de l’aéroport de Schiphol, la fédération des compagnies aériennes IATA (et d’autres …) restent vent debout contre la mesure du gouvernement néerlandais, ce qui d’un certain point de vue démontre l’importance de la décision politique pour tenir les objectifs climatiques. Espérons alors que cette mesure de sobriété tiendra !


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