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21 avril 2020

Le monde d'après COVID-19 : la rationalité économique est de conserver les objectifs CO2 dans le secteur auto

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant. Par Aurélien Schuller – Manager 

Nous en parlions dans un article précédent de Décryptage Mobilité : le COVID-19 aura-t-il raison des règles européennes sur les émissions de CO2 des voitures ? En effet, dans un courrier adressé à la Commission européenne, l'Association des Constructeurs Européens d’Automobiles (ACEA) et celle des équipementiers (CLEPA) ont demandé d’adoucir la réglementation CO2 sur les véhicules neufs dans le contexte de la crise. Remarquons qu’outre-Atlantique c’est désormais chose faite puisque l’Environmental Protection Agency vient d’annoncer un moindre objectif CO2 correspondant à une réduction des émissions de 1,5% par an de 2020 à 2025, contre 5% par an dans l’ancien standard établi par l’administration Obama [1]. 

Mais la position de la filière française pourrait être en décalage par rapport à celle des organismes européens. En effet dans une interview de Marc Mortureux d’AEF info le 9 avril 2020 [2], le directeur général de la Plateforme automobile (PFA, organisme rassemblant la filière automobile en France) vient préciser la position française : « Le courrier de l’ACEA à la Commission européenne était très général et visait à pointer les différents enjeux liés à la crise, il ne demandait pas une remise en cause des objectifs environnementaux. Ce qui est certain, d’ailleurs, c’est que ni Renault, ni PSA, loin d’être les plus mal placés en Europe, ne plaideraient en ce sens. » L’explication de la position des constructeurs français est simple à expliquer puisqu’elle est empreinte de rationalité économique. Les investissements vers l’électrification des gammes ont débuté, en contexte de crise ce serait préjudiciable de les remettre en question. C’est ainsi que le présente Marc Mortureux : « On ne peut pas imaginer que la crise soit l’occasion d’une remise en cause des objectifs d’émissions de CO2 ni de l’attente sociétale qui existe. L’industrie automobile a été amenée ces dernières années à investir de manière massive en faveur de la transition écologique. Cela n’aurait pas de sens de ne pas tout faire pour concrétiser ces investissements considérables et respecter la trajectoire de réduction des émissions. » 

Les interrogations et les réflexions se multiplient en ce moment sur ce que sera le modèle économique du « monde d’après », notamment sur la hiérarchisation des priorités entre relance économique de type « business as usual » et évolutions environnementales et sociétales. Si l’on a en tête les discours lors de la crise de 2008 où les préoccupations environnementales étaient mises de côté en vertu de la rationalité économique, on notera que ce qu’il se passe aujourd’hui pour le secteur auto français est un exemple concret où la rationalité économique a changé de camp. De façon plus générale on peut espérer que la crise que nous traversons soit l’occasion de faire évoluer notre modèle économique afin de mieux intégrer les dépendances vis-à-vis de la biosphère dans laquelle l’économie s’insère (et non l’inverse). Même si cela peut être désagréable, rappelons que l’économie ne peut pas se soustraire aux lois physiques et aux limites planétaires, à commencer par la limite d’un dérèglement climatique « supportable » pour préserver une planète vivable (du point de vue des humains). Dans le domaine automobile, on peut envisager ici quelques propositions afin d’aller plus loin dans une telle direction d’une mobilité plus sobre 

  • D’abord, ça va peut-être sans dire mais ça va toujours mieux en le disant, la voiture électrique doit être décarbonée de la fabrication à son usage : les plans d’électrification des gammes des constructeurs auto n’ont de sens que si les mix électriques se décarbonent dans le même temps ;
  • Il convient d’aller à l’encontre de la tendance passée de véhicules toujours plus lourds, plus rapides et plus puissants (les SUV sont un exemple emblématique de ce mouvement), car cela les rend gourmands en ressources tant pour leur fabrication que pour leur usage. Notons qu’un des obstacles désagréables à franchir sera de rediscuter la réglementation européenne qui donne un avantage aux constructeurs de véhicules plus lourds. De ce point de vue là les constructeurs français ont un avantage à tirer par rapport aux constructeurs outre-Rhin ;
  • Au-delà des technologies de motorisation, c’est notre besoin de mobilité qu’il faut interroger, et le contexte de confinement y est propice. Bien sûr le télétravail n’est pas généralisable à toutes et tous, et d’ailleurs il met en exergue des inégalités entre classes socio-professionnelles et zones géographiques. Mais pour celles et ceux qui le peuvent, la réduction des déplacements n’est-elle pas un juste effort à faire ? Cela est bien sûr conditionné à ce que le contexte soit favorable dans les entreprises pour aller dans ce sens, et que les modes d’organisation évoluent pour continuer à faire équipe tout en travaillant à distance.

Pour finir sur une touche amusante, demandons-nous si la situation actuelle ne nous inviterait pas à réfléchir à contre-pied de cette position, pour le moins baroque, défendue par Le Centre Patronal (organisation patronale suisse qui assiste les responsables de l’économie privée et intervient sur des questions politiques, un peu à l’instar du MEDEF en France) ? « Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses : beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation. » [3]   

 

Sources : [1] Autoactu.com [2] AEF [3] Service d’information du Centre Patronal, 15 avril 2020


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