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13 novembre 2020
Auteurs et autrices : Nicolas Meunier

Les voitures doivent perdre leur poids récemment gagné

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité du 12 octobre 2020. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant.   

Je vous rassure, on ne va pas vous parler régime et fitness, mais bien mobilité. En effet, la Convention Citoyenne pour le Climat a proposé, parmi ses 149 mesures, d’instaurer un malus financier sur les véhicules lourds neufs, afin de favoriser la vente des véhicules légers. Pourquoi ? Car plus un véhicule est léger, plus il est sobre en énergie utilisée (c’est logique), et ce quelle que soit sa motorisation (thermique ou électrique). Or la tendance actuelle est à des véhicules de plus en plus gros et lourds, qui consomment plus : en 30 ans, la masse de nos voitures a augmenté de… 30% en moyenne pondérée en France [1] … et environ 60% pour la gamme des berlines compactes [2] !   

Différence de gabarit entre une Renault 4 et une Tesla Model X[3]

  Pour rappel, afin de décarboner nos activités, en particulier concernant notre mobilité, nous avons plusieurs leviers à notre disposition : 

  • La sobriété : diminuer le nombre et/ou la distance de nos déplacements (télétravail, visioconférence, éviter les déplacements superflus, partir en vacances moins loin, …)
  • L’efficacité : consommer moins d’énergie pour un même service rendu (améliorations technologiques du véhicule, optimisation des trajets, le covoiturage, mieux remplir les véhicules…)
  • Le report modal vers des modes moins énergivores comme la marche, le vélo, le train
  • Le vecteur énergétique : utiliser des vecteurs moins émetteurs de gaz à effet de serre comme l’électricité (bas carbone), le biométhane, l’hydrogène (uniquement s’il est produit de manière décarbonée !)

Une manière efficace de s’attaquer au deuxième levier serait de réduire (ou ne serait-ce qu’arrêter d’augmenter) le poids des véhicules. Car si des progrès technologiques ont permis au moteur de consommer de moins en moins, l’augmentation de la masse des véhicules annule tous ces efforts, et les émissions des véhicules neufs stagnent, voire augmentent depuis quelques années[4]. Pourquoi un tel surpoids ? Pour nous offrir toujours plus de sécurité certes, mais aussi et surtout pour répondre aux injonctions marketing souvent superflues : toujours plus de gadgets alourdissent nos véhicules et l’imaginaire collectif valorise la grosse voiture, associée à tort à plus de sécurité, également signe extérieur de richesse et de réussite sociale (le SUV en étant une parfaite représentation). Aujourd’hui, la réglementation européenne se concentre surtout sur le dernier levier, celui du vecteur énergétique, et encourage l’adoption de motorisations électriques à batteries ou à hydrogène avec la limitation des émissions de CO2 à l’échappement pour les véhicules neufs. Cette métrique est imparfaite car elle ne prend pas en compte les émissions en cycle de vie (construction et fin de vie du véhicule, de la batterie) ni l’amont des énergies qui peut être déterminant pour l’électricité et l’hydrogène. Mais la réglementation pourrait être de nature à limiter aussi le poids, au moins pour les véhicules thermiques afin de diminuer leurs émissions à l’échappement. Sauf que le lobby des constructeurs allemands a déjà réussi à assouplir les objectifs d’émissions de CO2 pour favoriser - tenez-vous bien - les véhicules lourds (généralement plus rentables économiquement) au détriment des véhicules légers. En effet, la réglementation européenne actuelle est plus stricte pour un véhicule léger que pour un véhicule lourd, ce qui fait que réduire le poids d’un véhicule peut s’avérer contre-productif car le constructeur pourrait avoir à payer une amende pour non-respect des objectifs CO2, qu’il n’aurait pas eu si son véhicule était plus lourd (une étude de l’ICCT détaille ce mécanisme et ses conséquences). Malgré cela, Bercy s’oppose pour l’instant à la proposition de la Convention Citoyenne de taxer de 10 € par kilo supplémentaire les véhicules au-delà de 1 400 kg (le poids moyen d’un véhicule vendu en France en 2019 était de 1 240 kg, il s’agit donc vraiment des véhicules lourds)[5]. En effet, Bruno Le Maire craint que cette mesure soit délétère pour l’économie automobile et ses emplois, dans un système économique déjà bouleversé par la crise sanitaire actuelle. L’argument semble fallacieux puisque seuls 17% des véhicules produits en France excèdent ce seuil de 1 400 kg … contre 70% en Allemagne[6]. Mais sans ce type de mesure, on file tout droit vers une course à l’obésité automobile et on se prive d’un levier de décarbonation, pourtant clé. Un pari d’autant plus risqué que l’on connait les attentes de la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) pour respecter les accords de Paris : les émissions du secteur du transport doivent baisser de 97% d’ici à 2050, une réduction drastique, vertigineuse même, que l’on ne peut atteindre qu’en jouant sur les 3 leviers de décarbonation à la fois.   

Historique et projection des émissions du secteur des transports de la France entre 1990 et 2050 - MtCO2e [7]

  Les véhicules électriques ne sont pas exonérés car qui dit véhicule lourd dit plus grosse batterie pour répondre à son besoin énergétique et donc plus d’émissions liées à la fabrication du véhicule (qui représente le principal de son empreinte carbone, contrairement au véhicule thermique). A ce titre, répliquer le modèle du SUV thermique dans le champ de l’électrique est l’exemple parfait de la « fausse bonne idée ». En effet cela conduit à proposer des mastodontes de près de 2,5 tonnes (Tesla Model X, Audi e-tron, Mercedes EQC), très puissants et très énergivores. Ces véhicules électriques sont pourtant qualifiés « 0 émissions » par la réglementation européenne actuelle. Pour garantir une bonne autonomie, les batteries sont très grosses, induisant une forte pression sur les ressources minérales et beaucoup d’émissions de fabrication, sans parler du coût qui rend inaccessible à beaucoup la mobilité électrique. Ainsi, en analyse de cycle de vie, une Tesla est a minima environ 25% plus émissive qu’une citadine compacte électrique[8]. La « fée électricité » offre une partie de la solution, mais ne résout pas tous les problèmes environnementaux d’un coup de baguette magique. Enfin, cette course à l’allègement est nécessaire, et doit être regardée sous le prisme de l’empreinte carbone en cycle de vie. Car si on peut retirer des fonctionnalités superflues le cœur léger, la question est plus complexe quand il s’agit d’utiliser des matériaux plus légers mais plus émissifs à la fabrication (ex : composites ou aluminium en remplacement de l’acier). Cela est très intéressant pour des véhicules thermiques mais pas forcément pour des véhicules électriques, pour lesquels l’empreinte carbone de fabrication est supérieure à celle de l’usage (surtout dans des pays avec une électricité peu carbonée comme la France)[8].    

 

Article rédigé par Célia Foulon (Consultante) et Nicolas Meunier (Consultant) celia.foulon@carbone4.com nicolas.meunier@carbone4.com 

Sources: [1] Car Labelling ADEME [2] Weiss et al. [3] Blog d’Extinction Rebellion [4] Jato [5] BFMtv [6] Inovev [7] SNBC [8] Analyse Carbone 4


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