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octobre 2022

Hydrogène bas-carbone : quels usages pertinents à moyen terme dans un monde décarboné ?

Auteurs et autrices : Baptiste Rouault, Aurélien Schuller
Contributeurs & contributrices : Alexandre Joly

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Synthèse de l’étude

Contexte : l’hydrogène bas-carbone suscite de l’espoir pour répondre à l’urgence climatique

Respecter l’Accord de Paris c’est « éviter l’ingérable », en limitant l’aggravation du dérèglement climatique déjà embarqué. Pour ce faire, il faut une forte et rapide réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiales, et notamment une décroissance soutenue de la consommation des énergies fossiles. Pour y parvenir, une petite molécule suscite beaucoup d’espoir, l’hydrogène : s’il est peu carboné, il est une réponse pour se passer d’énergies fossiles pour certains usages et réussir la transition énergétique, tout en renforçant notre indépendance.

Dans ce contexte Carbone 4 a mené une étude prospective sur le potentiel de l’hydrogène bas-carbone selon les différents segments de consommation et compte tenu des autres options décarbonantes, afin d’éclairer le débat public sur les usages les plus efficients de l’hydrogène, pour répondre à l’urgence climatique.

L’hydrogène aujourd’hui : principalement consommé dans l’industrie, il est majoritairement produit à partir de sources fossiles

La grande majorité de l’hydrogène est actuellement utilisée comme réactif dans le secteur industriel. On en consomme aujourd’hui dans le monde environ 115 MtH2 par an, avec une légère croissance ces dernières années. 70% de la consommation est concentrée autour du raffinage, de la production de méthanol et d’ammoniac.

L’hydrogène est en grande partie (env. 40%) un coproduit d’activité (par exemple dans les gaz de hauts fourneaux). Pour la partie complémentaire, dite « production dédiée » (env. 60%), l’hydrogène est aujourd’hui quasi-intégralement produit à partir de ressources fossiles : la gazéification du charbon et surtout le vaporeformage du gaz naturel représentaient plus de 99% de la production dédiée d’hydrogène en 2018. L’hydrogène a ainsi actuellement en moyenne une forte empreinte carbone[1] : 15 kgCO2e / kgH2 pour la production dédiée d’hydrogène, ce qui en fait l’un des vecteurs énergétiques à l’empreinte carbone la plus élevée.

Décarboner la production d’hydrogène est possible par l’électrolyse, mais cela va potentiellement rester plus cher que la production fossile

Il existe toutefois des procédés permettant une production d’un hydrogène moins carboné, mais malheureusement ces procédés sont très probablement plus coûteux. L’électrolyse notamment, consiste, moyennant une consommation électrique importante, en la séparation de la molécule de dihydrogène et de l’atome d’oxygène qui composent la molécule d’eau.

L’électrolyse permet de produire de l’hydrogène peu carboné si l’électricité est elle-même peu carbonée. En effet, il faut une électricité avec un contenu carbone inférieur à 60 gCO2e / kWh pour produire un hydrogène bas-carbone tel que nous le définissons dans cette étude — nous avons retenu le seuil d’empreinte carbone selon la Taxonomie européenne, c’est-à-dire 3 kgCO2e / kgH2.

En termes de coût, sur la base des prix des énergies d’avant-guerre en Ukraine, l’hydrogène bas-carbone par électrolyse ne serait pas compétitif avec l’hydrogène de source fossile. D’après nos modélisations prospectives, le coût de production par électrolyse pourrait se trouver entre 3 et 4 € par kg d’hydrogène à horizon 2030, contre environ 1 € pour la production d’origine fossile. Ces analyses sont néanmoins très sensibles aux hypothèses portant sur le prix des différentes énergies. En effet, le coût de production de l’hydrogène fossile à partir de gaz naturel dont le prix a récemment dépassé 100 € / MWh oscillerait autour de 5 € par kg d’hydrogène. C’est la même dynamique avec les prix actuels de marché de l’électricité pour l’électrolyse.

Démarche de l’étude : évaluer le potentiel de l’hydrogène bas-carbone à horizon 2030 pour 11 usages, notamment via une analyse croisée entre ces usages

Nous avons considéré un ensemble de 11 usages possibles de l’hydrogène, répartis au sein de 3 secteurs, avec une focale temporelle sur la consommation d’hydrogène bas-carbone à horizon 2030.

L’étude d’un usage potentiel de l’hydrogène bas-carbone commence par l’évaluation de sa pertinence au sein de l’usage, sur la base de son pouvoir unitaire de décarbonation[2] et de ses avantages ou désavantages comparatifs par rapport aux autres options décarbonantes. Ensuite, nous avons déterminé des volumes potentiels de la mobilisation de l’hydrogène bas‑carbone pour les différents usages notamment, quand c’était possible, en utilisant des objectifs de décarbonation des secteurs pour déduire ces volumes de façon normative.

Le grand intérêt de l’étude réside dans la dernière étape qui est de procéder à une analyse inter-usages, ou intersectorielle, pour aboutir à un ordre de mérite de mobilisation de l’hydrogène bas-carbone entre les différents usages étudiés. Cette analyse se fait sur la base de l’intensité décarbonante de l’hydrogène : cette métrique, exprimée en tCO2e / tH2, traduit la baisse de l’empreinte carbone (exprimée en tCO2e) d’un usage que permet l’hydrogène bas-carbone, rapportée à une unité d’hydrogène (exprimée en tH2).

Enseignements de l’étude : l’hydrogène bas-carbone doit prioritairement aller vers la production d’ammoniac, de méthanol, la réduction directe du fer pour la production d’acier et la production d’e-GNL et d’e-méthanol pour le secteur maritime

Pour les usages actuels de l’hydrogène que sont la production d’ammoniac, principalement destiné à la fabrication d'engrais, et la production de méthanol, il est nécessaire et prioritaire de substituer cet hydrogène fossile par de l’hydrogène bas-carbone afin de décarboner ces usages pour lesquels peu d’autres leviers existent.

La sidérurgie (pour la réduction directe du minerai de fer) et le secteur maritime (pour la production de e-GNL et e-méthanol) auront nécessairement un besoin en hydrogène bas‑carbone à moyen terme pour suivre leur trajectoire 2°C. Pour ces deux secteurs, l’hydrogène est à la fois incontournable et complémentaire avec d’autres solutions : le développement de la voie du recyclage et la capture du carbone pour l’acier, les bioénergies pour le maritime. En ce qui concerne les carburants maritimes, le e-GNL peut être aisément utilisé dans les navires GNL actuels ou en cours de construction, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’économiser du gaz naturel.

L’utilisation d’hydrogène comme brique de flexibilité pour les systèmes électriques sera probablement incontournable, à moyen terme et surtout à long terme, pour accompagner le développement de moyens de production variables d’électricité, tels que l’éolien et le photovoltaïque.

Le secteur aérien aura également nécessité d’accéder à l’hydrogène bas-carbone pour les carburants de synthèse, là encore en complément des bioénergies, mais à plus long terme : les volumes potentiels en 2030 sont quasi-nuls. L’hydrogène en usage direct dans l’aviation quant à lui ne verra pas le jour avant 2035 car les technologies ne sont pas assez matures.

Pour les raffineries, la pertinence de l’hydrogène bas-carbone est incertaine : elles pourraient bénéficier d’un usage de l’hydrogène bas-carbone dès à présent même si la baisse des émissions engendrées est proportionnellement faible. Il est probable que la capture du carbone soit une voie qui corresponde mieux aux besoins du secteur même si sa décarbonation ne pourra reposer entièrement sur cette solution (accessibilité aux stockages géologiques profonds limitée). Enfin, une affectation de l’hydrogène dans ce secteur doit être faite en tenant compte de la décroissance nécessaire des volumes d’activité du secteur sur les décennies à venir.

Pour le ferroviaire et les camions, l’usage de l’hydrogène est pertinent mais en quantités limitées pour certaines situations très particulières (fort besoin d’autonomie par exemple, ou encore sous forme d’hybridation entre batteries et hydrogène au sein d’un même véhicule). Ces secteurs se décarboneront plutôt grâce à l’électrification. En effet, bien que le pouvoir unitaire de décarbonation de l’hydrogène soit bon dans ces secteurs, l’intensité décarbonante[3] de l’hydrogène est faible. Il est alors préférable d’employer l’hydrogène bas‑carbone pour d’autres usages.

Pour la production d’ammoniac comme carburant de synthèse pour le secteur maritime, l’allocation de l’hydrogène bas-carbone n’est pas pertinente : il y a encore des incertitudes sur la technologie d’une part (combustion incomplète entraînant des émissions de protoxyde d’azote et fuites d’ammoniac toxiques) et surtout, comme l’intensité décarbonante est plus faible que pour les autres carburants, il est préférable d’employer l’hydrogène bas-carbone pour d’autres usages, que ce soit pour la production des autres carburants de synthèse étudiés au sein du secteur maritime, ou bien pour d’autres secteurs.

La consommation d’hydrogène en mélange dans les réseaux de gaz et l’injection d’hydrogène dans les hauts fourneaux ne sont pas des applications pertinentes à développer pour l’hydrogène, car elles n’engendrent pas assez de réduction des émissions des secteurs concernés. L’intensité décarbonante de ces usages est par ailleurs faible, dans l’absolu pour la consommation d’hydrogène dans les réseaux de gaz, ou par rapport à la réduction directe du minerai de fer dans le cas de la sidérurgie.


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