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1 septembre 2022
Auteurs et autrices : Michaël Margo
Contributeurs & contributrices : Alain Grandjean

Torchage du gaz en Russie : quelle différence pour le climat ?

L’Europe connaît une crise énergétique trouvant ses sources dans trois facteurs au moins.

  1. La crise du COVID-19 qui n’en termine pas avec ses conséquences (forte relance demandeuse en énergie, fortes incertitudes liées à la politique du zéro COVID en Chine) ;
  2. La guerre en Ukraine et les sanctions et contre-sanctions entre UE et Russie ;
  3. Les décisions politiques et opportunités géologiques des cinquante dernières années qui ont conduit les pays de l’UE, comme de nombreux autres dans le monde, à dépendre fortement du gaz fossile pour son approvisionnement énergétique.

Les ministres européens de l’énergie se regroupent et travaillent à identifier des solutions, autant en termes d’approvisionnement que de maîtrise des prix du gaz et de l’électricité qui explosent sur les marchés[1].

Autour de l’été 2022, une partie d’un jeu de dupe est en cours : d’un côté l’UE fait tout pour pouvoir se passer du gaz russe (diversification des approvisionnements, plans de sobriété et d’efficacité[2]), de l’autre la Russie menace de réduire voire réduit le robinet de gaz vers l’Europe.

Un problème bien physique se pose alors pour la Russie. Alors que les livraisons de gaz diminuent vers l’UE, la question de la destination du gaz produit se pose. En effet, il est techniquement compliqué et coûteux de “boucher temporairement” un puits d’extraction de gaz. Certains observateurs soulignent que la Russie pourrait vendre son gaz à ses partenaires plus au Sud ou à l’Est. Seulement, les réseaux de pipelines de Gazprom pour alimenter l’UE sont orientés des puits vers l’Ouest, et il y a très peu voire aucune connexion vers l’Est[3]. Pas si simple donc de vendre son gaz “ailleurs” à court terme.

Autre solution techniquement et économiquement viable : “torcher” le gaz en attendant des débouchés. Il s’agit grosso modo d’évacuer le gaz dans l’atmosphère en le brûlant dès sa sortie. Cela explique les grandes flammes que l’on peut observer au-dessus des torchères.

C’est ainsi que depuis juin, Rystad Energy estime que Gazprom torche 4,34 millions de m3 de gaz chaque jour sur son installation de Portovya proche de la frontière finlandaise. Il s’agit du seul exemple précisément documenté par des observations visuelles et satellitaires, mais il en existe probablement d’autres en Russie.

De nombreux observateurs et spécialistes s’émeuvent de ce torchage très émetteur de CO2, qui est une véritable “catastrophe environnementale[4].

Les prix du gaz explosent sur les marchés, les stocks européens ne sont pas encore tous pleins, il est évident que ce gaz pourrait avoir une meilleure fin de vie que de finir brûlé en sortie de puits.

Mais concrètement :

  • 4,34 millions de m3 par jour : c’est beaucoup ?
  • La quantité de CO2 émise par le torchage du gaz est-elle significativement plus importante que s’il était vendu et utilisé ?

Analyse comparative

L’Europe a consommé en 2021, 400 milliards de m3 de gaz (dont 155 milliards de m3 en provenance de Russie[5]). Soit lissé sur l’année, 1 100 millions de m3 consommés par jour (425 millions en provenance de Russie). La quantité de gaz torché quotidiennement à Portovya représente donc 0,4% des besoins de l’UE (ou 1% de l’approvisionnement russe quotidien en 2021). Pour comparer, le seul gazoduc NordStram 1 transporte vers l’UE 170 millions de m3 par jour en 2021. Ces livraisons ont été réduites de plus de moitié depuis le début de l’année 2022. Les 4,34 millions de m3 torchés par jour sont ainsi loin de constituer une part significative des importations européennes.

Attention cependant, même si ce volume de gaz peut paraître faible au regard de la consommation colossale de l’UE, il correspond sur une année à 1,6 milliards de m3, soit la consommation moyenne annuelle de plus de deux millions de logements français chauffés au gaz. 

Alors, si ce gaz était vendu à l’Europe et non torché, il est raisonnable de penser qu’il serait intégralement utilisé (le jour même ou ultérieurement si stocké). Comparons les émissions de CO2 qui résulteraient de cette utilisation à celles produites par le torchage.

Cette comparaison au premier ordre peut être réalisée en prenant en compte les émissions liées à la production de gaz, au transport, à la distribution, à la combustion, en considérant le taux de fuite moyen non torché par une torchère, la composition du gaz russe et son pouvoir calorifique.

Comparaison des émissions de CO2e quotidiennes associées au torchage de gaz en sortie de puits en Russie vs consommé en Europe

Il ressort que les émissions quotidiennes de CO2 seraient sensiblement équivalentes si ce volume de gaz était utilisé plutôt que torché. Dit autrement, nos usages quotidiens du gaz et les émissions de CO2 associées sont autant une “catastrophe environnementale” que le torchage.

Il est entendu qu'au-delà de la combustion, toute quantité de gaz non servie constitue un manque à combler pour un consommateur final. La façon de répondre à ce manque d’énergie est double, et c’est la réponse de l’UE :

  • Utiliser d’autres sources d’énergie : ce qui revient souvent à brûler du charbon voire du fioul pour produire de l’électricité en rouvrant des centrales thermiques ou en relevant les plafonds de production (ce qui augmente les émissions de CO2e indirectes liées au torchage)[6]
  • Ne pas combler ce vide et consommer moins d’énergie via de la sobriété voire de l’efficacité énergétique

Pourquoi alors tant de commentaires sur le désastre environnemental que représente ce comportement de la Russie ? Deux propositions de réponse :

  1. Le torchage du gaz entraîne de nombreuses pollutions locales (monoxyde de carbone, monoxyde d’azote, dioxyde d’azote, oxyde de souffre) ayant des effets autant sur la qualité de l’air, des retombées possible sous forme de pluies acides, ou de dépôt de suies sur les zones glaciaires alentour ;
  2. Les observateurs réalisent enfin que la combustion de gaz fossile émet chaque jour des dizaines de milliers de tonnes de CO2 à l’échelle du globe.

Cet exemple devrait servir à illustrer et rappeler que, même si cela est moins visible et davantage banalisé lorsqu’un usage en est tiré (chauffage, procédé industriel), la combustion de gaz fossile, où qu’elle soit, a un rôle majeur sur l’effet de serre additionnel et l’aggravation du changement climatique.

Voir l’article "Consommer moins d’énergie : la meilleure arme pour se passer du pétrole et du gaz russe en un temps record" qui mentionne des moyens rapides et efficaces de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles, fussent-elles de Russie ou d’ailleurs... 


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