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1 mars 2022
Auteurs et autrices : Alexandre Joly

Transition énergétique : combien de guerres avant d’agir ?

La guerre déclenchée par Vladimir Poutine nous rappelle froidement notre manque d’anticipation, de vision et de courage sur notre indépendance énergétique, qui nous paralyse alors sur la scène géopolitique. Elle nous rappelle également la double dimension de la transition énergétique : en amont, notre dépendance aux énergies fossiles et, en aval, le changement climatique que provoque leur combustion.

Nous sommes fortement dépendants d’autres puissances sur le plan énergétique

En Europe de l’Ouest, seuls les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Norvège produisent des hydrocarbures en quantités significatives, mais cette production couvre moins de 30% de la consommation intérieure européenne, et elle est en déclin.

TOP 3 PAYS FOURNISSEURS (2020, %, Eurostat)

En effet, l’Europe importe la majeure partie de son pétrole et de son gaz d’Afrique, du Moyen-Orient, des Amériques et surtout, de Russie avec une part culminant à 26% pour le pétrole brut, et à 38% pour le gaz naturel, en 2020. [1]

Sans surprise, notre indépendance énergétique est loin d’être assurée :

Taux d’indépendance énergétique (2019, %, Eurostat)

Le taux de dépendance sous-jacent correspond au solde énergétique (imports – exports) divisé par la consommation énergétique (production du pays + solde). Le calcul est fait en énergie primaire.

Libérons-nous pour mieux maîtriser notre géopolitique et financer des emplois chez nous 

Qu’est-ce qui empêche la France de sortir des énergies fossiles ? 
Faut-il rappeler que la France dépense 30 à 75 milliards € chaque année pour acheter gaz et pétrole ? Autant d’argent qui part dans les poches de pays étrangers, entres autres, de la Russie, plutôt que de financer des emplois locaux. [2]

Pas le choix : soit on est proactif et on planifie avec ambition soit on subit.

Et plus on attend, plus il devient difficile de réussir notre transition.

Aujourd’hui, on subit le cadre imposé par la Russie, qui met notamment en tension le prix du gaz, multiplié par 6 depuis janvier 2021, et avoisinant actuellement les 100 €/MWh sur les marchés de gros en Europe. Tendance également à la hausse pour le prix du baril qui est passé de 50$ à 100$ depuis janvier 2021. [3] La France et l’Union Européenne se retrouvent entravées sur la scène géopolitique en raison de cette gigantesque dépendance.
Et demain, le gaz et le pétrole seront plus rares, probablement plus chers encore, alors l’histoire que l’on subira sera encore plus sévère pour les citoyennes et citoyens français.

Les mesures de court terme, comme le chèque énergie et le plafonnement des prix, sont des pansements sur une jambe de bois. Même si elles permettent d’amortir le choc financier pour les ménages les plus modestes, elles reviennent à donner encore plus d’argent à la Russie dont les exportations en gaz et pétrole représentent 30% du PIB. Nous finançons ainsi indirectement la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. [4]

Alors on nous parle de nous affranchir du gaz russe en achetant du GNL provenant des Etats-Unis ou du Moyen-Orient. Autant dire, passer d’une dépendance à une autre. Que se passera-t-il quand les Américains n’auront plus de gaz ou décideront de le garder pour eux ? De plus, les émissions de gaz à effet de serre liées à l’extraction, la transformation et le transport du GNL américain, provenant en partie de gaz de schiste, sont 2 fois plus élevées que le gaz russe, et 4 fois plus que le gaz norvégien [5].

Pourquoi ne pas concilier ambition géopolitique et ambition climatique ?

Car c’est là l’énorme bonus de s’affranchir pour de bon de notre dépendance aux énergies fossiles : respecter l’Accord de Paris, et ainsi réduire l’impact des crises climatiques et géopolitiques en devenir.

Rappelons tout d’abord que les mesures réduisant nos consommations d’énergie (efficacité énergétique et sobriété) sont incontournables et réduisent de facto notre dépendance au gaz. Les paramètres structurants identifiés dans la publication « L'État français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? » donnent une bonne grille de lecture des priorités pour la réduction des émissions, comme la rénovation énergétique dans le bâtiment par exemple. [6]

Alors soyons vraiment ambitieux. 

Voici 3 propositions complémentaires, concrètes et structurantes pour sortir rapidement de notre dépendance au gaz :

La proposition la plus accessible porte sur le résidentiel. Interdire le renouvellement des chaudières au gaz suit le sillon déjà tracé par l’interdiction d’installation de chaudières au fioul dans tous les logements, entrée en vigueur au 1er juillet 2022. Et les solutions de remplacement existent. Mentionnons simplement la pompe à chaleur qui permet de réduire les consommations d’énergie par 3 à 4. Compte-tenu des prix actuels du gaz, elle est quasiment rentable sans subvention mais on pourrait envisager un coup de pouce financier. Cela financerait en plus des emplois locaux pour la fabrication et l’installation. Pour fixer un ordre de grandeur, on parle d’1 milliard € par an pour une aide de 1000 €, à comparer au 1,2 milliard € que le gouvernement va dépenser pour compenser la hausse des prix du gaz. [7] [8]

Gagner en indépendance énergétique et ainsi en liberté géopolitique est à portée de main. Espérons que cette guerre nous ouvre enfin les yeux et nous conduise à agir pour de bon.


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