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12 juin 2023
Auteurs et autrices : Alexandre Joly

Mix électrique (et énergétique) français : parlons consommation avant production

Pour relever le défi climatique, tous les scénarios de transition le montrent : il faut à la fois, réduire significativement notre consommation d'énergie et substituer les énergies fossiles par des énergies bas-carbone. Néanmoins, l'agenda législatif, notamment sur le mix électrique, fait du « produire plus » l’option centrale : les lois votées ou proposées concernent l’accélération de la production, renouvelable et nucléaire. La maîtrise de la demande est reléguée au second plan. 

Et pourtant, la meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas

En effet, toute énergie a un coût pour le consommateur et l'environnement. En 2021, 25% des ménages étaient en difficulté pour payer leurs factures d'énergies[1]. Même bas-carbone, fabriquer un panneau solaire ou brûler du bois continuent de générer des émissions de gaz à effet de serre, d’occuper des sols et de consommer des matériaux que la France ne possède pas. En outre, si notre utilisation d’énergies fossiles ne baisse pas, les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites par le développement des énergies bas-carbone.

Consommer moins d'énergie passe par l'efficacité et la sobriété

  • L'efficacité, c'est consommer moins d'énergie pour un usage identique. Pensez à l'isolation des bâtiments : vous ne changez pas la température de chauffe mais vous consommez moins.
  • La sobriété, c'est questionner nos usages énergétiques pour en retenir les plus pertinents. Dans un logement, cela reviendrait à baisser le thermostat à 19°C, chauffer seulement les pièces utilisées, ou encore occuper un logement de taille raisonnable.

Ces deux leviers sont de natures différentes mais nécessitent de forts investissements financiers, comportementaux, et/ou organisationnels.

Production électrique : un court terme fragilisé par l'incertitude de disponibilité du parc nucléaire 

Le parc nucléaire actuel s'approche d'une moyenne de 40 ans[2], âge initialement retenu pour le fonctionnement de ces réacteurs. Pour aller au-delà, un grand programme de rénovation (dit "grand carénage"[3]) est en cours de réalisation, réacteur par réacteur, avec validation de l'autorité indépendante de sûreté nucléaire. 

Qui dit réacteur âgé, dit généralement maintenances plus longues et aléas plus fréquents[4]. Une dizaine de réacteurs ont récemment été arrêtés de façon non anticipée suite à la détection de problèmes de corrosion[5]. Résultat : en 2022, la production nucléaire a atteint son plus faible niveau depuis 1988[6]. Le réseau électrique français a tenu en partie grâce aux importations de nos voisins, une première depuis 1980[7]. Et ce n'est pas anodin pour le climat. Nos voisins ayant des mix électriques plus carbonés que le nôtre, et aussi parce que nos centrales fossiles ont plus fonctionné, l'intensité carbone de l'électricité consommée en France a augmenté de 20% en 2022 par rapport aux 5 dernières années[8]

Dans un contexte de tension durable sur l'approvisionnement européen en gaz[9], les crises énergétiques se reproduiront très probablement dans les prochaines années. Le risque de ruptures d’approvisionnement d’ici 2030 est pris très au sérieux par l’exécutif[10].

Que faire à court terme ? 

Premièrement, massifier les initiatives existantes autour de l'efficacité et de la sobriété énergétique afin d'agir plutôt que subir. Lors de l'hiver 2022-2023, hors effet du climat, la consommation d'électricité a chuté de 9%[11], et celle du gaz de 6%[12]. Difficile d'identifier la part qui relève de la sobriété proactive dans un contexte où l'explosion des prix a imposé un serrage de ceinture. Cependant, il existe des démarches qui mériteraient d'être très vite généralisées comme des concours[13] ou des applications[14] d'économies d'énergies, afin de changer notre rapport à l'énergie, ce bien si précieux. Plus largement, il est impératif d’amplifier les actions d’efficacité énergétique dans tous les secteurs, à commencer par la rénovation énergétique des bâtiments.

Deuxièmement, accélérer le déploiement des renouvelables électrogènes (éolien, photovoltaïque), seuls moyens de production à pouvoir être construits rapidement[15]. C'est une décision sans regret : soit elles concourront à pallier les défauts de production nucléaire soit elles permettront d'éviter des émissions chez nos voisins en se substituant aux énergies fossiles. A ce titre, la production solaire et éolienne française a évité en 2019 l'émission de 22 MtCO2e en Europe selon RTE[16] soit autant que les émissions du secteur des déchets en France. 

Comment penser notre système électrique à long terme ?

L'électricité va jouer un rôle clé pour décarboner les usages énergétiques de l'économie. Pensez aux véhicules électriques ou aux pompes à chaleur. Selon la Stratégie Nationale Bas-Carbone[17], qui définit les trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre que la France doit respecter jusqu’en 2050, la consommation totale d'énergie devrait diminuer environ de moitié quand la part de l'électricité passerait d'environ 25% à plus de 50%, entre 2015 et 2050.

Malgré tout, l’électrification doit s’opérer de façon mesurée. RTE a très récemment relevé ses perspectives d’augmentation des niveaux de consommation électrique[18] pour 2035 : +10% à 20% par rapport à il y a 2 ans. Pour accélérer la décarbonation de notre économie et relocaliser massivement, la réponse est de produire encore plus car la sobriété ne serait « plus une option ».

L’avenir reste indéterminé mais avec probablement de plus en plus de crises à venir. Consommer moins d'énergie, c'est nous dégager des marges de manœuvre pour renforcer notre résilience. Planifier un retour à des niveaux de consommation soutenables devrait être la priorité, un préalable au dimensionnement futur de notre parc de production. Et pourtant, le chemin vers une société très économe en énergie paraît encore bien lointain. 

Sur le front de la production, plusieurs possibilités s'offrent à nous. Du côté de la relance du nucléaire, construire 14 EPR-2 d’ici 2050 est un véritable défi industriel au regard des compétences à mobiliser. De l'autre côté, la difficulté technique d'un mix 100% renouvelable électrique est souvent pointée du doigt. Pour intégrer autant d'énergies variables sur le réseau, les défis sont réels : flexibilité de la demande, stockage, capacités pilotables, etc. Mais hors de France, de nombreux pays s'engagent dans cette voie et construisent des solutions pour demain. En 2023, les investissements mondiaux dans le solaire photovoltaïque et l’éolien devraient culminer à 600 milliards de dollars soit 10 fois plus que le nucléaire[19]. Finalement, la limite principale d'un tel scénario pour la France ne serait-elle pas ailleurs ? Déployer les énergies renouvelables requiert des autorisations administratives, l’acceptation des populations locales et une filière industrielle beaucoup plus développée. Sans modération de la demande, est-il réaliste de construire autant d’installations solaires et éoliennes aussi rapidement ?

In fine, la part d'énergies renouvelables dans le mix électrique français dépassera très probablement 50% en 2050, point de convergence de tous les scénarios de RTE[20]. Les usages deviendront plus flexibles pour s'adapter à ces nouveaux modes de production. Pensez au véhicule électrique (ou à la batterie d'un vélo électrique) qui se rechargera en pleine journée lorsque le soleil sera à son zénith plutôt qu'à 19h en rentrant chez soi. C'est tout un rapport au temps qui va devoir être réinventé.

Inversons la logique

Pour conclure, s'enfermer dans un débat technique entre nucléaire et renouvelables occulte la nécessaire transformation socio-culturelle de notre système économique. Il ne fait aucun doute que la technique fait partie de la solution mais comme disait Einstein "Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé". Alors organisons la maîtrise de nos consommations avant de débattre de la production.

De nombreux scénarios misant sur une forte réduction de nos consommations (scénarios 1 et 2 de l'ADEME, scénario negaWatt, la variante "sobriété" des scénarios de RTE) nous montrent la voie. C'est certain, il faudra du courage politique pour mettre en place les alternatives au "tout-voiture"[21] ou encore à la "société d'hyperconsommation". Mais bonne nouvelle, être économe en énergie, c'est une balance commerciale plus équilibrée, plus d'indépendance géopolitique, plus d'emplois locaux et une facture mieux maîtrisée. Alors, qu'est-ce qu'on attend ?


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