Train vs Avion : quel est le juste prix ?
Analyse des coûts et des prix du transport aérien et du transport ferroviaire de passagers
La comparaison des prix entre le train et l’avion un débat qui revient régulièrement, chacun ayant sa propre expérience, lesquelles peuvent être très diverses car les techniques pour fixer les prix (le yield management[1]) sont aujourd’hui très développées et complexes dans le secteur du transport longue distance. Carbone 4 s’est penché sur trois exemples représentatifs afin de fournir des éléments de réponse rigoureux.
Des prix décorrélés des coûts, qui dépendent de l'équilibre offre/demande
Le train est moins cher que l'avion pour les trajets nationaux directs mais cet ordre s'inverse pour l'international
Le train est souvent qualifié de plus cher que l’avion pour le transport de passager, pourtant, en comparant les prix moyens des billets de train et d’avion[2] sur trois trajets, on observe que le train est moins cher en moyenne que l’avion sur les trajets nationaux considérés, qui sont directs (Paris-Nice et Paris-Toulouse).
Toutefois, la tendance s’inverse et l’avion est moins cher en moyenne que le train sur le trajet international considéré (Paris-Barcelone). Il faut noter que sur ce trajet international, l’avion est également en moyenne moins cher que pour les deux trajets nationaux en avion étudiés, malgré une distance parcourue plus longue ce qui montre que la détermination du prix moyen n’est pas uniquement basée sur une logique de coûts. En réalité, le transport aérien a pour paramètres essentiels la demande et la concurrence, et va fixer les prix en fonction de ceux-ci. Les coûts sont pris en compte non pour les prix mais pour décider d’augmenter ou réduire le nombre de vols/de sièges disponibles en fonction de la rentabilité du vol[3].
Prix moyen TTC par trajet en train et en avion (classe Eco/2ème classe) - €
Graphique 1 : Air France, prix moyen Paris-Nice. Google Flight, AlgoFlight, rapport financiers Easy Jet et Ryanair
Graphique 2 : Bilan ferroviaire 2023 (ART), OpenData ART, Données 2022 pour les Intercités de jour et de nuit. Hypothèses : TVA à 10% pour les trajets nationaux et TVA à 10% sur la portion espagnole du trajet international.
Il est également intéressant de noter que les compagnies aériennes low-cost (par exemple Easy Jet ou Ryanair) proposent des billets à prix très bas mais comptent beaucoup sur les recettes auxiliaires (vente à bord, service supplémentaire…) appelés ancillary qui peuvent représenter plus de 40% de leur chiffre d’affaires[4], sans lesquelles elles ne seraient pas rentables.
Des stratégies de pricing similaires avec une amplitude de prix moindre sur le train
Pour le train comme pour l’avion, le prix des billets repose sur une stratégie de fixation de prix qui consiste à maximiser le remplissage par la modulation du prix payé par le consommateur, appelée yield management. C’est-à-dire à proposer plusieurs niveaux de prix pour un même trajet selon la demande. En cas de faible demande sur certains horaires ou jours, les prix proposés peuvent être très bas pour encourager les clients à se reporter sur ces billets afin d’améliorer leur remplissage et de libérer de la capacité sur les trajets similaires à forte demande pour des clients prêts à payer leur billet cher pour un horaire ou un trajet précis.
Cette stratégie commune au transport de passagers aérien et ferroviaire (a minima sur la grande vitesse) a pour effet de faire évoluer fortement la courbe des prix en fonction du remplissage et permet donc d’observer des prix bas sur des trajets programmés à plusieurs mois et des prix de plus en plus élevés au fur et à mesure que la date du trajet approche. Toutefois, la différence notable entre l’aérien et le ferroviaire sur cette politique tarifaire est l’intervalle de prix possible beaucoup plus large pour les billets d’avions que pour les billets de train. A titre d’exemple, un trajet Paris-Nice en TGV Inoui a un prix borné entre 25 et 156€[5] tandis que sur ce même trajet des billets d’avion via une compagnie traditionnelle peuvent exister à partir d’environ 60€ et atteindre plus de 450€ proche du jour de départ[6].
Quels sont les coûts derrière ces prix
Des coûts d'infrastructures importants pour les deux modes de transport mais qui augmentent vite avec la distance parcourue pour le train
Alors que les infrastructures (et conséquemment leur poids carbone, biodiversité et financier) augmentent proportionnellement pour le train, ce n’est pas le cas pour l’avion.
Pour l’aérien, des infrastructures sont nécessaires seulement au départ et à l’arrivée : les aéroports. Ils se rémunèrent par des redevances demandées aux compagnies aériennes, certaines calculées par passager, et d’autres en fonction du poids de l’avion ou encore du temps et du mode de stationnement, elles représentent 13% à 27% du prix moyen du billet sur les trajets étudiés.
Pour le train, c’est le réseau ferré qui représente le premier poste de coûts[7], poste qui augmente avec la distance parcourue. En effet, le gestionnaire du réseau ferré français finance les investissements nécessaires à son renouvellement, son entretien et son extension en percevant des redevances[8] auprès des compagnies ferroviaires pour l’utilisation des voies suivant le principe d’un péage. Ces redevances sont plus élevées pour les lignes à grande vitesse (LGV) que pour les lignes classiques (LC) et sont modulées par le type de train, le nombre de rames (unité multiple ou unité simple) et la densité d’occupation du train.
Elles représentent en moyenne environ 30% du prix du billet sur les trajets étudiés.
Elles sont plus élevées pour le trajet Paris-Barcelone du fait de la distance parcourue plus grande mais aussi car l’hypothèse retenue pour le calcul des « péages » pour ce trajet est que le train ne compte qu’une seule rame contrairement aux trajets Paris-Nice et Paris-Toulouse dont les trains ont deux rames sur la partie LGV ce qui fait sensiblement baisser le prix des redevances par passager.[9]
Graphique 1 : Rapport financier Air France 2024, Rapport d’activité EasyJet 2024, Rapport d’activité Ryanair 2024, Documents sur les redevances des aéroports de Paris, Nice, Toulouse et Barcelone.
Graphique 2 : DRR 2025, DRR 2026, Carte « Le réseau ferré en France », Mars 2025, Bilan ferroviaire 2023, Rapport financier SNCF 2024
L'énergie est le premier poste de coûts pour l'aérien et représente également un poste significatif pour le ferroviaire
A l’inverse, le train est beaucoup plus efficace en termes de consommation d’énergie que l’avion, car il n’a pas à lutter contre la gravité et les frottements roue/rail sont beaucoup plus faibles que sur la route. Et de manière également proportionnelle, le gain énergétique (et carbone) du train croit avec la distance parcourue.
Le kérosène est donc logiquement le premier poste de coûts pour l’avion (~25%). Le coût associé au carburant évolue proportionnellement à la distance parcourue et renchérit les coûts sur les plus grandes distances, même si cette variation n’est pas retranscrite dans les prix, les coûts n’intervenant pas dans le yield management. De plus, contrairement aux autres vecteurs énergétiques (électricité, carburant routier, gaz), le kérosène n’est pas taxé.
L’énergie de traction (électricité) représente en moyenne 6 à 8% du prix d’un billet de train. Elle est sujette à la TICFE (taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité) qui représente 14% du prix de l’électricité achetée[11].
Un niveau de taxe équivalent à celle appliquée sur l’électricité mise en place sur le kérosène ferait évoluer légèrement à la hausse les coûts de l’aérien.
Projection du coût moyen par trajet avec une taxation du kérosène équivalente à celle de l'électricité - €
Graphique 1 : Rapport financier Air France 2024, Rapport d’activité EasyJet 2024, Rapport d’activité Ryanair 2024, Documents sur les redevances des aéroports de Paris, Nice, Toulouse et Barcelone.
Graphique 2 : DRR 2025, DRR 2026, Carte « Le réseau ferré en France », Mars 2025, Bilan ferroviaire 2023, Rapport financier SNCF 2024
Des taxes différentes pour les deux modes de transport, au niveau national comme international
Néanmoins, il est important de noter que l’aviation est soumise à d’autres taxes spécifiques à son secteur, notamment à la taxe sur le transport aérien de passagers (TTAP) qui se décline en plusieurs sous-ensembles fléchés vers les gestionnaires d’aéroport, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, et l’Etat. Le transport ferroviaire n’a pas de telles taxes.
Concernant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les deux modes de transport y sont soumis à hauteur de 10% du prix hors taxe du billet sur les trajets domestiques. Cependant le transport aérien est exempté de TVA sur les trajets internationaux tandis que le train s’acquitte de la TVA sur la partie internationale du trajet, en l’occurrence de 10% de TVA sur 14% du prix que représente la partie espagnole et en est exempté au prorata des kilomètres effectués sur le territoire français. Sur un Paris-Berlin, la partie internationale représente environ 60% des kilomètres, ce qui crée un réel écart de taxation pour deux modes de transport concurrents.
Prix moyen TTC avec visualisation des taxes - €
Graphique 1 : Air France, prix moyen Paris-Nice. Google Flight, AlgoFlight
Graphique 2 : Bilan ferroviaire 2023 (ART), OpenData ART, Données 2022 pour les Intercités de jour et de nuit. Hypothèses : TVA à 10% pour les trajets nationaux et TVA à 10% sur la portion espagnole du trajet international.
Quel serait le nouvel équilibre avec une fiscalité harmonisée ?
Depuis 2012, le transport aérien fait partie du « marché carbone », le système d’échange de quotas d’émissions européen (SEQE ou EU ETS) couvre en partie les émissions de l’aviation. Néanmoins, le périmètre couvert est limité aux vols à l’intérieur de l’espace économique européen, ne couvre pas les émissions hors-CO2 (représentant à minima la moitié de l’impact climatique du transport aérien) et 45% des crédits sont alloués à titre gratuit en 2024, ce qui limite considérablement sa portée. C’est pourquoi l’Union européenne prévoit la fin des quotas gratuits sur ce périmètre en 2026 et une potentielle extension (du périmètre géographique des vols considérés ou l’intégration éventuelle des émissions hors CO2) à partir de 2030.
Projection du coût moyen par trajet aérien avec l'évolution des quotas carbone européens - €
Air France, prix moyen Paris-Nice. Google Flight, AlgoFlight. Prix du carbone 70€/tCO2e. Emissions des trajets - eco-calculateur.aviation-civile.gouv.fr
Toutefois, le surcoût induit actuellement par le marché carbone européen ne permet pas d’intégrer significativement l’impact carbone supérieur de l’aviation par rapport au transport ferroviaire pour un trajet équivalent.
Une autre réflexion pourrait être de raisonner par équité, en appliquant le même niveau d’accises sur l’énergie au kérosène qu’au diesel routier, c’est-à-dire 59,4 ct€/L (hors TVA). Comme on peut le voir dans la comparaison ci-dessous, l’internalisation des coûts carbone du kérosène permet d’égaliser les coûts totaux entre les compagnies traditionnelles et le train sur le trajet international Paris-Barcelone.
Projection du coût moyen par trajet avec une taxation du kérosène équivalente à celle du diesel routier - €
Graphique 1 : Rapport financier Air France 2024, Rapport d’activité EasyJet 2024, Rapport d’activité Ryanair 2024, Documents sur les redevances des aéroports de Paris, Nice, Toulouse et Barcelone.
Graphique 2 : DRR 2025, DRR 2026, Carte « Le réseau ferré en France », Mars 2025, Bilan ferroviaire 2023, Rapport financier SNCF 2024
Enfin, la décarbonation de l’aviation va également augmenter significativement les coûts des trajets aériens. En effet, l’incorporation de carburants moins carbonés pour l’aviation (Sustainable Aviation Fuels, ou SAF) permet de diviser l’impact climatique par 2 environ[12], mais avec un surcoût qui double le prix du billet d’avion, actuellement. Ce surcoût favorisera un report modal vers le train, ce qui est souhaitable, car d’une part même un vol avec 100% de SAF reste 10 fois plus émetteur que le train dans l’exemple de Paris-Barcelone[13], et d’autre part les ressources en SAF sont limitées. Cela incite donc à une utilisation sobre de l’avion, pour utiliser les ressources en SAF pour les trajets véritablement indispensables.
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