article
·
9 juillet 2019
Auteurs et autrices : Stéphane Amant

15 millions de voitures électriques en France : le blackout est-il à nos portes?

Cet article a initialement été publié dans notre newsletter Décryptage Mobilité. Pour recevoir par mail les prochains articles dès leur publication, abonnez-vous dès maintenant. Par Stéphane Amant, Senior manager 

Le gestionnaire national du réseau de transport d’électricité RTE vient de publier une analyse qui tord le cou à quelques idées reçues fréquemment relayées à l’encontre du véhicule électrique à batteries [1]. En résumé, ce rapport d’étude apporte des réponses concrètes à des inquiétudes certes légitimes, mais de fait non avérées. Par exemple, même avec un parc de véhicules électrifiés de l’ordre de 15 millions en 2035, soit environ 40% du parc français à cet horizon, non seulement la demande d’électricité correspondante serait limitée à seulement 8% de la production totale, mais surtout l’appel de puissance imputable à des périodes de trafic intense (tels les départs en vacances ou en week-ends) serait inférieur ou égal à 8 GW, ce qui est largement gérable par le système électrique selon RTE (à l’exception éventuelle de la période de Noël, en cas de vague de froid concomitante). Le rapport met en fait en évidence que ce sont bien les trajets « du quotidien » qui constituent le principal enjeu pour le système électrique. Dans ce cas de figure, la possibilité de piloter la recharge des véhicules (la fameuse technologie Vehicle-to-Grid ou V2G) présenterait un intérêt évident car en plus de d’éviter tout risque de blackout, elle constituerait en outre une opportunité pour l’équilibre général du réseau, particulièrement dans la perspective d’une intégration croissante de moyens de production renouvelables intermittents. Toutefois, même sans possibilité de pilotage, les calculs de RTE démontrent que le critère de sécurité d’approvisionnement électrique est assuré jusque dans un cas très défavorable (i.e. sans pilotage de la recharge, avec près de 12 millions de véhicules électrifiés). En soi, le pilotage de la recharge n’est donc pas un pré-requis à une forte électrification du parc automobile en France dans les 15 prochaines années, mais devra être mise en œuvre au-delà par contre. Pour être tout à fait transparent, gardons en tête que ce rapport a été produit avec le concours de l’AVERE, association qui défend les intérêts des acteurs de la filière de l’électromobilité en France. Cependant, les analyses technico-économiques de RTE font en général référence et sont reconnus pour leur sérieux, nous pouvons donc considérer que les résultats mis en avant dans cette étude sont peu contestables. Ce qui nous amène à conclure qu’il est grand temps d’arrêter de se faire peur avec la question de l’impact du déploiement du véhicule électrique à batteries à grande échelle sur le réseau électrique français. Les défis les plus importants de l’électromobilité sont ailleurs, et consistent en gros à trouver les bons leviers pour accélérer la diffusion de cette solution vertueuse pour le climat, au sein du parc automobile et des flottes d’autobus. En voici quelques exemples non exhaustifs : 

  • Imposer par la réglementation des quotas de véhicules électriques dans les flottes d’entreprises pour alimenter ensuite à des coûts d’acquisition modérés le marché de l’occasion pour les particuliers
  • Pousser les constructeurs à proposer une offre plus en adéquation avec les capacités économiques des ménages et plus en cohérence avec la rapide décarbonation du parc (ce qui en creux revient à limiter au maximum les mastodontes de la route que sont les SUV avec 80 kWh de batteries ou plus)
  • Basculer au plus vite sur des chimies de batteries (quasiment) sans cobalt
  • Proposer un maillage d’infrastructures de charge optimisé sur le territoire, avec une réflexion majeure à mener sur les vitesses de rechargement pour la longue-distance, l’option germanique de l’Ultra-Fast Charging ne nous paraissant pas la bonne solution pour démocratiser l’électromobilité
  • Faire en sorte que l’Europe soit leader sur la seconde génération de batteries (post-2025, avec par exemple la batterie Li-solide)
  • Articuler l’adoption de l’électromobilité par les ménages avec des services packagés de transport collectif pour la longue distance et de location de véhicule électrique à destination
  • Et sans doute le plus difficile : faire comprendre que la nécessaire décarbonation du système de transport ne passe pas que par la technologie (fût-elle électrique ou au bioGNV), mais aussi par un nouveau rapport à la mobilité, passant par un recours accru aux modes actifs, aux transports collectifs et à toutes les formes de partage des moyens individuels (covoiturage, autopartage, etc.)

Enfin, profitons de cet article pour revenir sur un point-clé de la transition dans la mobilité des biens et des personnes qui touche aux choix technologiques : il faut cesser d’opposer entre elles les alternatives aux carburants pétroliersmais les encourager de concert en fonction de leur pertinence dans les usages, voire les combiner Ainsi, bioGNV, hydrogène décarboné, batteries (de taille raisonnable) sont des solutions qui présentent toutes des atouts majeurs pour décarboner le transport. Les ennemis de la transition énergétique et autres chantres du statu quo sont suffisamment puissants pour ne pas en plus leur faciliter la tache par des luttes contre-productives entre alliés objectifs. 

Article rédigé par Stéphane Amant – Senior manager Sources: [1] RTE


Mobilité
automobile