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22 juin 2023
Auteurs et autrices : Nicolas Meunier

Et si l’avion moins carboné existait déjà ?

Depuis quelques années, l’avion décarboné est dans tous les esprits. Entre vues d’artiste d’avion hydrogène et d’appareils au design futuriste, la recherche aéronautique est à pied d’œuvre, pour le moyen-terme (on parle de nouvel appareil pour 2035-2040) et cela va coûter cher ! En France, le gouvernement a déployé un plan de soutien massif pour assurer l’éclosion de l’avion « ultra-sobre » avec 2,4 milliards d’euros investis depuis 2020 au travers du Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC) [1]. Outre-Atlantique, la NASA et Boeing investissent conjointement 1 milliard de dollars pour mettre au point un démonstrateur d'avion commercial offrant une réduction de 30% de la consommation de carburant [2].

Pourtant, la technologie pour réduire significativement la consommation des avions est déjà disponible, en utilisant des turbopropulseurs plutôt que les habituels turboréacteurs à double flux (ou turbofans), que l’on voit majoritairement sur les tarmacs. Il s’agit en réalité de 2 variantes technologiques d’un moteur à turbine : un turbopropulseur dispose d’une hélice entrainée par le moteur, alors qu’un turboréacteur possède une soufflante carénée à la place de l’hélice (voire l’image ci-dessous). Les « turboprops » équipent certains avions court-courrier, qualifiés de « régionaux », comme les ATR42 et ATR72 ou le Dash 8-Q400, ainsi que de nombreux avions d’affaires, mais pas davantage car ils sont délaissés sur les distances de plus de 1000 km. Leur vitesse de croisière est en effet plus faible (~600 km/h vs ~830 km/h pour un A320NEO), et la différence de temps de vol avec un avion à turboréacteur est jugée comme rédhibitoire au-delà d’une certaine distance à parcourir (ex : une différence d’environ 40 minutes sur un vol Paris-Madrid)Ils sont aussi un peu plus bruyants (en cabine comme pour l’environnement extérieur), et soumis à plus de turbulences car ils volent moins haut. Sans compter que les hélices donnent une impression (erronée) d’appareil d’un autre âge, qui ne correspond pas à l’imaginaire de modernité prétendument recherché par les passagers. Mais ils sont bien moins consommateurs en carburant, de l’ordre de 20% à 40% de réduction, par rapport à un turbofan régional, même si cela s’atténue avec la distance parcourue, le gain de consommation étant surtout important sur les phases de décollage et de montée.

En outre, le gain des turbopropulseurs actuels vient aussi du surdimensionnement de leurs concurrents sur un trajet donné, les turbofans régionaux (ERJ, CRJ) ou moyen-courrier (A320, 737) ayant un rayon d’action plus grand et étant donc en conséquence plus lourds. On retrouve un phénomène observé dans le transport routier : avoir un véhicule « couteau-suisse » pour plus de flexibilité opérationnelle, qui est par conséquent sous-optimisé pour certains trajets.

Un avion à turboréacteur à double flux, appelé communément un « jet » (en haut) et un avion à turbopropulseur en bas

Autre avantage significatif par rapport au climat, les avions à turbopropulseurs volent moins haut que les avions à turbofans, et ne produisent donc quasiment pas de traînées de condensation. Ils n’ont donc pas d’effets radiatifs hors CO2, qui multiplient l’impact purement CO2 de l’aviation de l’ordre de 2 selon l’ADEME (voir notre précédent article). La réduction de l’impact climatique d’un vol en turbopropulseur est donc d’environ 50% à 60%, ce qui est très significatif !

Cet exemple illustre les différents chemins possibles pour se décarboner. Pour obtenir un avion significativement moins carboné, il est possible de choisir la voie du pari technologique en investissant massivement dans la recherche aéronautique pour développer à moyen-terme un avion avec à peu près les mêmes performances et plus efficacement énergétiquement, pouvant éviter les zones de formation de trainées de condensation avec des technologies prédictives. Ou de suivre un chemin s’appuyant sur la technologie turbopropulseur existante, qui implique un changement de comportement des usagers en acceptant un confort à bord un peu dégradé (bruit et turbulences) et un temps de vol plus long (~3h en turbopropulseur vs ~2h en A320 pour un vol Paris-Tunis de 1500 km).

A l’ère de la vitesse et de l’énergie relativement peu chère (même depuis le conflit russo-ukrainien), la qualité de service prime encore sur le carbone, et la première solution prime sur la deuxième. Pourtant, il y a un risque dans tout pari technologique, et l’urgence climatique incite à trouver des solutions rapidement pour atteindre la neutralité carbone en 2050, plutôt que d’attendre des solutions de rupture promises au mieux pour 2035-2040. D’autant plus que ces 2 voies socio-technologiques ne se contredisent pas, et qu’il serait possible de développer dès aujourd’hui des turbopropulseurs à plus long rayon d’action, tout en investissant en parallèle dans la recherche sur des sujets comme l’évitement des trainées de condensation, et des technologies à mi-chemin entre le turbopropulseur et le turboréacteur, comme l’open rotor par exemple [3].

L’atteinte de la neutralité carbone d’ici 27 ans est un défi majeur et très ambitieux, et mêlera nécessairement des innovations technologiques et des changements dans les usages liés à l’aviation. Est-ce que voler plus lentement est un grand sacrifice, si cela permet de voler tout court ?


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