Economie circulaire : les défis à relever
Le monde étant limité en ressources, une croissance infinie de leur consommation n’est physiquement pas soutenable. Or, l’économie actuelle génère, dans sa grande majorité, une croissance continue de la consommation en ressources vierges sans questionner la capacité de la Terre à les produire. Cette économie dite “linéaire”, extrait des ressources vierges, fabrique des objets, et les jette sans prévoir le réemploi de la matière.
Ce modèle pose non seulement problème en raison de la finitude des ressources mais également à cause de ses impacts sur le climat, la pollution et la destruction des écosystèmes. En amont, les activités extractives dégradent les milieux naturels, mobilisant d’importantes quantités d’énergie fossile, et génèrent des pollutions chimiques difficiles à contenir. En aval, le traitement[1] des matières se traduit souvent par leur retour dans l’environnement, entraînant pollutions et altérations des écosystèmes et de la biodiversité. Si les technologies de gestion de déchets visent à limiter ces pollutions, les rejets sous formes solides, liquides ou gazeuses persistent et ont un impact non négligeable sur l’environnement.
L’économie circulaire est souvent plébiscitée pour résoudre ces problématiques. Derrière ce concept général, différents leviers existent avec chacun ses défis.
Repartons de l’objectif : réduire la pression sur les ressources vierges
Notre utilisation de ressources matérielles permet de produire des biens pour répondre à divers usages. Si on vise à réduire la pression sur ces ressources, 3 grandes familles de leviers complémentaires se dessinent :
SOBRIÉTÉ :
Questionner nos besoins pour définir ce qui est prioritairement utile permet de réduire la consommation de ressources avec un effet immédiat. Avons-nous besoin d’un distributeur de croquettes pour chat à reconnaissance faciale ? Avons-nous besoin d’acheter 40 vêtements par an alors que ⅔ des vêtements produits ne sont pas portés plus d’un an [2] ? Sans se complaire dans une vision ascétique du monde, tous ces vêtements ne sont donc pas nécessaires. Acheter ou produire moins est donc le premier levier pour limiter la pression sur ces matières premières. Dans un contexte de ressources limitées, la question de la priorisation de nos usages peut légitimement faire l’objet d’un débat sociétal.
EFFICACITÉ :
Pour répondre à un usage pertinent, il est parfois techniquement faisable de réduire la quantité de matière utilisée. Par exemple, les carrelages sont majoritairement fabriqués avec une épaisseur de 9mm alors qu’une épaisseur de 6mm pourrait souvent suffire à couvrir le même usage.
RÉUTILISER :
Lorsqu’un usage est nécessaire, la (ré)utilisation des ressources déjà extraites permet également de limiter notre pression sur les ressources vierges. Ce levier est souvent emblématique de l’économie circulaire. Il recouvre de nombreuses réalités que nous allons développer.
Eco-conception
L’éco-conception est une méthode visant à réduire les impacts environnementaux (ex : carbone, eau, pollution sol) du produit ou du service sur l’ensemble de sa chaîne de valeur dès sa phase de conception.
Pour ce faire, elle s’appuie sur les 3 grands leviers : sobriété (ex : fabriquer un produit robuste qui dure dans le temps ou dont la taille n’est pas surdimensionnée par rapport à l’usage), efficacité (ex : penser le processus de fabrication pour minimiser les rebuts à l’usine) et réutilisation (ex : utilisation de matériaux en seconde vie ou recyclés).
Elle est l’un des 7 piliers de l’économie circulaire de l’ADEME[3] et est également portée par le législateur (ex : directives européennes sur l’éco-conception des produits liés à l’énergie).
En pratique, le terme “éco-conçu” recouvre des réalités très variées : cela peut aller de la simple incorporation de matières recyclées, à une conception intégrant l’ensemble des leviers de réduction d’impact. On constate notamment que les démarches d’éco-conception basées sur des Analyses de Cycles de Vie valorisent mal l’allongement de la durée de vie.
Réutiliser l’existant, dernier levier après la sobriété et l’efficacité matière
Ce troisième levier peut prendre plusieurs formes.
Premièrement, il est possible de réutiliser des produits déjà existants.
Ceux-ci peuvent être neufs, issus de stocks d’invendus, ou des produits fonctionnels considérés “à défaut”, l’objectif est alors d’éviter de les jeter. Lorsque le produit a déjà été utilisé mais reste fonctionnel, il peut être valorisé sur le marché de la seconde main (reconditionné, occasion ou don).
Pour éviter la mise hors-service, un enjeu majeur consiste à augmenter la longévité des produits. Cela implique à la fois de lutter contre l’obsolescence dès la conception et d’entretenir le produit pour maintenir les conditions d’usage - on peut parler de maintenance préventive dans un contexte industriel.
Cependant, une fois un produit hors-service, ces premières options ne sont plus envisageables. Dans cette situation, deux cas se distinguent. D’un côté, les produits dont les caractéristiques et la conception permettent de les réparer. D’un autre, les produits qui sont démantelés pour que les différents composants puissent être recyclés.
Deuxièmement, nos modèles actuels génèrent une sous-utilisation d’une part importante des produits en circulation. Par exemple, une perceuse n’est utilisée en moyenne qu’une dizaine de minutes sur l’ensemble de sa durée de vie[4], ou encore, le taux d’occupation moyen par voiture est de 1,4 personne pour les trajets courtes distances[5]. La mutualisation de ces objets (notamment au travers du procédé de location) ou de ces usages (par exemple via le covoiturage) peut permettre de limiter le nombre de produits possédés par individu tout en garantissant l’accès à ces usages.
Finalement, la réutilisation des ressources existantes se traduit par le développement à grande échelle de 5 activités : Augmenter la longévité, Réutiliser, Réparer, Recycler et Mutualiser. Elles s’appliquent à des phases différentes de l’économie linéaire et permet de la circulariser (ou a minima de l'ovaliser).
Économie de la fonctionnalité
L’économie de la fonctionnalité vise à ne plus vendre un bien, mais le service qui lui est associé. Sortir de la croissance volumique des produits permet de limiter la quantité d’objets fabriqués. Ce faisant, on se concentre sur une croissance de la marge en se rapprochant du besoin du client pour servir plus qualitativement ses usages.
Par exemple, l’entreprise Xerox est passée de la vente d’imprimantes aux entreprises à leur location. Ainsi, ils possèdent et gèrent l’ensemble du parc de machines : ils conçoivent des appareils robustes pour durer dans le temps, réparent les produits dysfonctionnels, et réutilisent les composants des machines en fin de vie pour fabriquer de nouveaux appareils, le reste pouvant être recyclé. Le taux de pièces récupérées dans certains matériels peut atteindre 95%[6]. Au-delà de l’environnement, la qualité du service augmente : les imprimantes tombent moins en panne, sont réparées rapidement, et sont remplacées en fin de vie sans que le client n’ait besoin de s’en occuper.
Après les définitions, viennent les défis de la mise en oeuvre
Eco-conception, réparation, reconditionnement, économie de la fonctionnalité, recyclage, etc. Ces activités ont le vent en poupe mais leur mise en œuvre fait face à de nombreux défis. Voici les principaux, sans prétendre à l’exhaustivité.
Les défis dits “d’offre” incluent la chaîne d’approvisionnement et les opérations. Le recyclage par exemple, fait face à de gros enjeux de séparation des composants dans des produits complexes mélangeant plusieurs matériaux. Les procédés associés sont coûteux, demandant des investissements financiers forts (ex : le recyclage chimique du plastique demande à la fois de forts investissements financiers mais aussi beaucoup d’énergie). La réparation, quant à elle, repose sur la capacité d’un produit à être réparé, la disponibilité de pièces détachées, la mise en place d’une filière compétente, une expérience utilisateur fluide (ex : délais de livraison plus longs par rapport à l’achat d’un produit neuf).
La demande constitue également un défi de taille. Il est nécessaire de stimuler l’attractivité en produits réparés / réutilisés / recyclés pour permettre à ces modèles d’affaires d’être rentables et ainsi se généraliser. Par exemple, sur le prix, si la réparation coûte plus d’un tiers du prix du neuf alors la majorité des gens optent pour le produit neuf[7]. Le bonus réparation de l’Etat vise à équilibrer le rapport de force en réduisant le coût de la réparation[8].
Au-delà de ces enjeux techniques, économiques et financiers, la mise en œuvre de l’économie circulaire soulève également des questions environnementales. Bien que vertueuse en réduisant la pression sur les ressources vierges, elle peut induire des transferts d’impact vers des émissions de gaz à effet de serre ou d’autres formes de pollution, à titre d’exemples :
- Dilemme entre durabilité matière et efficacité énergétique : conserver un appareil électrique tel qu’un frigidaire de façon prolongée peut entraîner plus de consommation d’énergie du fait de sa moindre efficacité énergétique par rapport à un produit neuf.
- Circulariser induit notamment des étapes logistiques supplémentaires : louer un appareil situé à plusieurs dizaines de kilomètres de chez soi constitue-t-il un véritable gain carbone étant donné les consommations d’énergie liées au transport ?
Cette question des transferts d’impact est complexe et spécifique à chaque cas de figure.
La mise en œuvre de l’économie circulaire requiert une transformation profonde de nos modes de production et de consommation. Un tel changement de paradigme soulève de nombreux défis. En particulier, celui d’identifier les endroits où l’économie circulaire n’entre pas en conflit avec d’autres enjeux environnementaux.
Nous consacrerons de prochaines publications à certains antagonismes entre économie circulaire et climat pour identifier les conditions où la réduction de l’impact climatique va de pair avec une moindre pression en ressources.
Carbone 4 travaille sur l’économie circulaire via un groupe transverse aux problématiques amont via l'expertise Industrie, et aval avec l'expertise Luxe & Retail, notamment en lien avec les modèles alternatifs de distribution.
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