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24 mai 2023
Auteurs et autrices : Fanny Deschamps, Zeina Chaar

Faut-il penser une sobriété heureuse sans chocolat ?

A l’occasion de la COP26 de Glasgow, la majorité des pays membres s’est engagée à “Conserver les forêts et les autres écosystèmes terrestres et accélérer leur restauration” [1]. Pourtant, plusieurs éléments peuvent nous amener à douter de l’efficacité de ce type d’engagement volontaire très médiatique : les précédents engagements non tenus comme la Déclaration de New York sur les forêts [2], l’absence d’objectifs chiffrés d’ici à 2030 ou le manque de sincérité de certains des principaux signataires, comme l’Indonésie [3].

Cependant, la science du climat s’empare du sujet de façon concrète : de nouveaux standards [4] de reporting et de comptabilité carbone accordant une place centrale à la déforestation voient le jour.

Du côté de nos institutions, la France s’est dotée d’une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Elle est suivie par l’Europe qui a récemment promulgué l’EUDR [5], une loi visant à exclure du marché européen tout produit issu de la déforestation, c’est à dire la conversion durable des écosystèmes forestiers en un autre usage des sols. Car bien que nos territoires soient peu touchés par le risque direct de déforestation, les produits importés par les pays du Nord sont responsables de plus de la moitié de la déforestation mondiale [6]. Selon WWF France [7], une dizaine de produits est à l’origine de près d'un quart des émissions de notre système agricole. Parmi eux, on trouve sur le podium, avant même l’huile de palme, l’un des produits phares de notre alimentation occidentale : le cacao.

Pourquoi le cacao est-il source de déforestation ?

Le cacao est apparu il y a 4 000 ans dans le nord de l’Amazonie, où il a été l’objet de cultes par les Mayas et les Aztèques qui lui prêtaient des vertus médicinales, et a même pu être utilisé comme monnaie. Après la conquête espagnole, il est introduit par les européens dans de nouveaux territoires sud américains, notamment au Venezuela, avant de gagner l’Afrique et l’Océanie au début du XXème siècle grâce aux nouvelles variétés trinitario et forestaro, plus solides, qui représentent 95% de la production actuelle.

La culture du cacao est désormais concentrée dans la “ceinture du cacao”, proche de l’équateur, dans des zones tropicales où les forêts étaient relativement préservées car le cacao nécessite des sols riches [8]. En plus de remplacer ces espaces à fortes valeurs écologiques - notamment en tant que puits de carbone et de réserve pour la biodiversité - les cacaoyères épuisent les sols et les ressources en eau lorsqu’elles sont conduites en mono-culture.

Elles sont également très sensibles aux aléas climatiques, en particulier au sein de monocultures intensives. Ces dernières possèdent les plus hauts rendements mais finissent par s’effondrer à cause des maladies, des ravageurs et de la dégradation des sols [9].

Malgré ces difficultés “agronomiques”, c’est surtout la demande croissante des pays occidentaux et la faible rémunération des producteurs qui les poussent à dégager toujours plus de surfaces pour cette culture, puisqu’il est moins coûteux [9][13] d’en créer de nouvelles que d’en restaurer [10].

Un levier existe pour limiter cette pression : augmenter le rendement d’une partie des cacaoyères dont la culture est extensive et peu optimisée. D’après une étude du Cirad [9], il existe un optimum qui garantit des rendements convenables tout en permettant à la cacaoyère de produire pendant une centaine d’années contre 30 à 40 ans pour une monoculture intensive, avant d’être remplacée par une autre culture. Mais même si des gains de rendement pour une partie de la production peuvent être attendus, ces améliorations ne pourront être infinies. Les surfaces actuelles ne permettront pas de répondre à une demande croissante de cacao. Pour y répondre, une augmentation de la surface cultivée sera nécessaire.

Quelle conséquence sur l’empreinte carbone du chocolat ?

C’est donc sans surprise que les émissions de la déforestation représentent la quasi totalité (~95%) de l’empreinte carbone de production du cacao [11]. Le pays de production et la situation locale des forêts ont donc une influence considérable sur l’empreinte des fèves de différentes origines (Fig.1)

Figure 1 - Intensité carbone moyenne des fèves de cacao en sortie de ferme, selon leur origine (en kgCO2e/kg)
Agribalyse 3.1 adapté des données de la WFLDB 3.5 décomposé avec Simapro avec la méthode EF 3.0

Ces émissions dues à la déforestation se retrouvent donc dans l’empreinte du chocolat dont l’intensité carbone dépend au premier ordre de l’origine des fèves (Fig. 2). Mais le lait en poudre, présent dans la recette du chocolat au lait ou blanc, possède aussi une intensité carbone relativement importante devant les autres ingrédients — principalement du sucre.

Figure 2 - Intensité carbone de différents chocolats selon leur recette (en kgCO2e/kg)
Source : Agribalyse 3.1 adapté des données de la WFLDB 3.5 décomposé avec Simapro avec la méthode EF 3.0

L’empreinte du chocolat va donc dépendre de l’origine du cacao et de sa recette. Par exemple, un chocolat noir avec une teneur élevée en cacao provenant d’une zone dans laquelle la déforestation est importante présentera la majeure partie de ses émissions associée à la production du cacao. À l’inverse, pour un chocolat blanc peu cacaoté provenant d’une zone dans laquelle la déforestation est faible, c’est le lait en poudre, plus émissif que le cacao non déforestant, qui représente la grande majorité des émissions. (Fig. 3)

Figure 3 - Intensité carbone de trois recettes de chocolats selon l’origine des fèves de cacao (en kgCO2e/kg)
Analyses Carbone 4 sur Agribalyse 3.1 adapté des données de la WFLDB 3.5 décomposé avec Simapro avec la méthode EF 3.0

Pourquoi l’empreinte carbone du cacao a récemment augmenté ?

Dans la WFLDB3.5 [12], principale source de données carbone sur le cacao, les émissions de gaz à effets de serre (GES) associées à la production d’une fève ont doublé entre 2019 et 2022. Pourquoi cette augmentation brutale ?

La première réponse est méthodologique : l’état des connaissances sur la déforestation, ses conséquences et surtout sa mesure ne cessent de gagner en maturité. Ce ne sont pas les émissions de la culture qui augmentent, mais notre capacité à les estimer qui s’améliore.

La deuxième réponse est physique : la culture de cacao a des impacts directs ou indirects de plus en plus importants et ce pour deux raisons :

  • c’est un produit cultivé dans des zones où la perte de de surfaces forestières s’accélère ;
  • c’est un produit dont la demande et donc l’augmentation des surfaces cultivées subit une croissance importante (Fig. 4), les rendements étant stables depuis les années 90. Cela accentue la responsabilité de la culture de cacao quant à la pression exercée sur les terres.
Figure 4 - Evolution des surfaces cultivées en cacao chez les 10 premiers producteurs mondiaux depuis 1961 (en ha)
FAOSTAT

En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao au monde qui concentre presque la moitié des volumes, la surface de cacaoyer a été multipliée par 18 en 60 ans (Fig. 4) pendant que sa forêt perdait plus de 80% de sa surface initiale [13].

Conclusion

Suite à l’adoption de l’EUDR (Europeen Union Deforestation Regulation), pour chaque marchandise (ou produit dérivé) de la liste [14], les entreprises devront reporter le lieu et la date de production des matières premières agricoles pour permettre leur mise sur le marché européen. Les entreprises du cacao devront donc s’intéresser de près à ces impacts. Le régulateur aura pour rôle de vérifier via des images satellites que le produit en question n’a pas causé directement de déforestation. Cette réglementation va demander un travail d’ampleur aux entreprises concernées mais permettra d’améliorer la traçabilité au sein des chaînes de l’agroalimentaire, étape cruciale pour limiter les impacts négatifs de ce secteur et créer des cycles vertueux.

Pour autant, la déforestation ne sera pas endiguée tant que les restrictions ne seront pas mondiales. Les pays d’Europe pourront s’orienter vers le cacao provenant de terres déforestées avant 2021 non couvertes par la réglementation [15]. Tandis que les autres régions consommatrices n’auront aucune difficulté à se fournir en cacao provenant de terres récemment converties.

Face à ces constats, faut-il penser une sobriété heureuse sans chocolat ? Son caractère irrésistible en fait un tabou des discours écologiques et pourtant, plus nous en consommons et plus la pression sur les forêts tropicales augmente.

Il est donc inévitable d’inverser la tendance en réduisant notre consommation de chocolat, qui atteint 8,1 kg consommés en 2019 pour un·e français·e moyen·ne (contre 6,3 en 2010) [16] majoritairement (~54%) sous la forme de pâtes à tartiner, confiseries et barres chocolatées [17]. Il est peut-être l’heure de nous poser la question : a-t-on besoin d’autant de chocolat et aussi régulièrement ? Ne faut-il pas d’abord réduire nos consommations de nombreux produits transformés contenant du chocolat et redonner au cacao son caractère festif et exceptionnel ? Car comme disaient nos grands-mères : “la Terre est la seule planète où trouver du chocolat, préservons-là !”

 


Agriculture et Agro-alimentaire
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