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21 avril 2022

L’ozone des basses altitudes, une épée à double tranchant

Sensibilité de la santé humaine à l’élévation de la température de surface globale selon trois scénarios d'adaptation : adaptation limitée, adaptation incomplète et adaptation proactive[1]. Extrait du Résumé pour Décideurs du  rapport du groupe II du GIEC 2022.
 

Dans son dernier rapport, le GIEC met en avant l’ozone comme l’un des 4 sujets majeurs de santé humaine vis à vis du changement climatique. Ainsi, aux côtés de la mortalité due au stress thermique, au paludisme et aux maladies transportées par les moustiques, la mortalité reliée à l’ozone apparait tout aussi importante. Une bonne raison pour notre expert Cyril Caram de revenir sur ce gaz, son origine et ses impacts sous forme de questions-réponses.

Où trouve-t-on l’ozone ?

Dans les hautes couches de l’atmosphère, la couche d’ozone empêche une partie des rayons UV nocifs d’atteindre la surface de la terre, protégeant ainsi les organismes vivants. On parle ici d’ozone stratosphérique.

La stratosphère se situe au-dessus de la troposphère, dont l'altitude varie de 8 km à 18 km des pôles à l'équateur, jusqu'à environ 50 km d'altitude. Il peut paraitre contre-intuitif, mais plus on monte en altitude dans cette couche, plus la température augmente ! Ceci est due à la présence de la «couche d'ozone» stratosphérique. Cette couche est d'une importance fondamentale puisqu'elle filtre les rayons ultraviolets mutagènes. 

Des mécanismes chimiques régissent l'équilibre naturel de l'ozone dans la stratosphère. Ces mécanismes sont perturbés sous l'influence des activités humaines, telles que les émissions de CFCs (chlorofluorocarbures) qui ont un temps de vie suffisamment long pour être transportés jusqu’à la stratosphère. 

C’est à ces altitudes que les CFCs se dissocient sous l’action des rayons UV en radicaux hautement réactifs (Cl et ClO), détruisent avec efficacité la couche d'ozone à l’échelle de la Terre, et contribuent significativement à l’apparition du fameux « trou dans la couche d’ozone » au-dessus des pôles. 

À la suite de la mise en évidence du rôle des CFC dans la destruction de l’ozone dans les années 70s, la communauté internationale a signé le protocole de Montréal en 1987 pour limiter leurs utilisations. Depuis, la couche d’ozone stratosphérique se reconstitue et il est estimé qu’elle se reconstituerait complètement d’ici 2060[2].

Schéma expliquant la différence entre la couche d’ozone stratosphérique qui protège la Terre des rayons nocifs du soleil, et l’ozone troposphérique, qui est un polluant atmosphérique et un gaz à effet de serre. Source : Carbone 4

A l’opposé, dans les couches plus basses de l’atmosphère, l’ozone est un polluant atmosphérique qui dégrade la qualité de l’air et un gaz à effet de serre qui exerce une influence sur le climat. On parle ici d’ozone troposphérique.

Quelles relations entre les 2 couches d’ozone ?

Généralement, un lent échange d'air se produit à travers la frontière troposphérique-stratosphérique. En raison des niveaux plus élevés d'ozone dans le niveau supérieur, un transfert net d'ozone se fait des hautes couches vers les basses couches de l’atmosphère. Cet échange, cependant, ne joue qu'un rôle mineur dans la détermination des abondances d'ozone dans la stratosphère et la troposphère. Il n’existe donc pas de fort lien entre les deux couches.

D’où provient l’ozone troposphérique ?

L’ozone troposphérique, également connu sous le nom d’ozone des basses altitudes, n’est pas directement émis par la nature ou l’activité anthropique. Il est le produit de réactions chimiques entre des composés carbonés dont le méthane (CH4)[3] et les oxydes d’azotes (NOx), tous deux provenant de sources anthropiques (véhicules, industries, agriculture, etc.) et naturelles. C’est pourquoi on le qualifie de polluant atmosphérique secondaire.

À mesure que les émissions de ses précurseurs ont augmenté depuis l’ère préindustrielle, l’ozone troposphérique a augmenté, surtout au cours des dernières décennies.

Sa formation est favorisée en période d’été, sous l’action des rayons UV du soleil et sa teneur connait d’importantes variations régionales. Les zones périurbaines et rurales sont généralement plus touchées que le centre des villes. 

Nombre de jours supérieurs à 120μg/m³ pour 8 heures en région d’Île-de-France pour l’année 2019. Cette année-là, l’objectif de qualité relatif à la protection de la santé[4] est dépassé, surtout en zones péri-urbaines et rurales. Carte extraite du site Airparif[5].

Pourquoi cette disparité dans les concentrations d’ozone troposphérique ? 

Pour faire simple, la combustion de fuel fossile dans les villes est à l’origine de fortes concentrations en NOx. Quand il fait chaud et le rayonnement est fort, les NOx participent à des cycles chimiques spécifiques, qui augmentent la quantité d’ozone produite. Mais paradoxalement, à partir d’un certain seuil, l’ozone peut être détruit par les composés NOx par lesquels il est également produit. 

Cette destruction n’a pas lieu dans les zones périurbaines et plus éloignées où les émissions primaires de NOx sont plus faibles et les concentrations en composés carbonés sont plus importantes. C‘est un cycle chimique assez complexe, mais très bien compris par les spécialistes de la qualité de l’air.

Néanmoins, il ne faut pas conclure que l’air dans les villes est moins pollué qu’en zone rurale. L’air reste globalement plus pollué dans les villes dû à la présence d’autres polluants atmosphériques comme les particules fines, les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone, etc.

Quels sont les impacts de l’ozone troposphérique sur les organismes vivants ?

De point de vue sanitaire, l’ozone est un polluant qui irrite les yeux et l'appareil respiratoire des humains et animaux. Même de petites augmentations des concentrations atmosphériques de l'ozone peuvent affecter la santé. Dans de multiples régions du monde, les niveaux d’ozone dépassent souvent le seuil fixé par les organismes de qualité de l’air, ce qui pose un sérieux problème à la protection de la santé et est associé à un risque accru de mortalité prématurée[6].

Les effets de l'ozone troposphérique sur la production agricole se ressentent également, surtout en saison de croissance. Cet oxydant pénètre dans les feuilles à travers les stomates et attaque les tissus végétaux. De nombreuses céréales et légumineuses sont vulnérables à l’ozone, nous pouvons citer notamment le blé, le soja, le maïs et le riz. Les pertes de rendement de ces cultures sont substantielles et estimées entre 2 et 16% à l’échelle du globe[7], affectant ainsi l’absorption du CO2 par les plantes.

Quelles relations avec le climat ?

L'ozone est un gaz à effet de serre important en termes de forçage radiatif, il apparait après le dioxyde de carbone et le méthane[8]. Par rapport à ces derniers, sa durée de vie est relativement courte, de l’ordre d’une vingtaine de jours. Par conséquent, l’ozone troposphérique peut être transporté d’un continent à un autre mais n’est pas bien mélangé à l’échelle hémisphérique. Si la production d’ozone chute, l’effet radiatif dû à l’ozone se verra diminuer dans les mêmes proportions

D’autre part, en milieu urbain et en été, l’élévation de la concentration en ozone troposphérique est la cause principale de la formation du smog photochimique qui peut durer plusieurs jours. Le réchauffement climatique amplifie ces épisodes et exacerbe les îlots de chaleur urbain[9] qui sont caractérisés par une augmentation de la température moyenne des villes par rapport aux zones rurales environnantes, de jour comme de nuit. L’ozone, étant un gaz à effet de serre, il alimente cette boucle de rétroaction en emprisonnant l’énergie thermique près du sol.

L'effet de l'îlot de chaleur urbain (en anglais « Urban heat island ») sur la température en fin d’après-midi en milieu urbain, péri-urbain et rural. Figure extraite Fuladlu et al., 2018.[10] 

Qu’en est-il de l’évolution récente et future des concentrations de l’ozone troposphérique ?

Selon l’association Airparif qui surveille la qualité de l’air en région Île-de-France, l’ozone est le seul polluant pour lequel les tendances annuelles récentes ne montrent pas d’amélioration dans l’hémisphère Nord[11].

Concernant les concentrations futures de l’ozone des basses altitudes, elles sont très incertaines et dépendent des trajectoires socio-économiques futures :

  • À l’horizon 2050, la teneur en ozone est susceptible d’augmenter dans les scénarios climatiques dits « pessimistes »[12] en particulier en Asie de l'Est, Asie du Sud, Moyen-Orient, Afrique et Asie du Sud-Est.
  • Dans les scénarios « optimistes »[13], l'ozone diminue dans toutes les régions en réponse à une forte atténuation des émissions dès 2030 en Amérique du Nord, en Europe, en Eurasie, en Asie de l'Est, au Moyen-Orient et en Asie du Sud.
  • Dans les scénarios tendanciels qualifiés de « middle of the road »[14], à la moitié du siècle, et dans la plupart des régions, l'ozone troposphérique est légèrement réduit ou reste proche des valeurs actuelles.

Existe-t-il des solutions d’atténuation ?

Il est important de mettre en place et renforcer la règlementation sur les concentrations de l'ozone troposphérique pour tracer des stratégies d’atténuation basées sur la science et accompagner les différents secteurs dans la baisse des émissions des précurseurs de l’ozone troposphérique. 

La forte réduction de ces derniers, et notamment le méthane entraîne une diminution de l'ozone des basses altitudes de près de 30% en moyenne, à l’échelle mondiale, à l’horizon 2050[15].

Les politiques régionales, nationales et continentales peuvent réduire avec beaucoup d’efficacité l’impact de la pollution de l'air, et contribuer à l'atténuation à court et à long terme du changement climatique.

Et si on parlait d’adaptation ?

Pour limiter l’impact sanitaire, l’investissement dans des systèmes de santé, d’information et de surveillance de la qualité de l’air peut être très efficace. 

Afin d’améliorer la sécurité alimentaire future, les gouvernements et collectivités territoriales devraient identifier des options de gestion agricole pour faire face aux multiples facteurs de stress (hydrique, thermique, chimique, etc.). Une des options serait de sélectionner et développer des variétés acclimatées aux zones géographiques, résistantes à l'ozone pour éviter les pires effets des épisodes de pollution à l’ozone[16].


Résilience
Adaptation