article
·
19 décembre 2025
Auteurs et autrices : Christina Stuart, Lucile Brand
Contributeurs & contributrices : Florence Palandri, Alain Grandjean

SFDR 2.0 : on répond à vos questions

10 ans après les accords de Paris, la signature de « La déclaration sur l’intégrité de l’information » à la COP30 marque un tournant dans la lutte contre le greenwashing et la transparence climatique. Les propositions d’amendements au Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) cherchent à participer à cet effort, en simplifiant et clarifiant le reporting climatique sur les activités financières. Nos expertes et experts chez Carbone 4 vous proposent un décryptage nuancé de SFDR 2.0 en répondant à vos questions.

 

« Qu'est-ce qui change ? »

SFDR 2.0 propose de nombreux changements dans le but affiché de rendre la réglementation plus lisible et moins coûteuse pour les acteurs financiers : « simplifier et réduire les exigences administratives et d'information liées à la durabilité » ainsi que « améliorer la capacité des investisseurs finaux à comprendre et à comparer les produits financiers liés à la durabilité ».

Notamment :

  • 3 nouvelles catégories sont proposées pour clarifier la définition d’« investissement durable » :
    • ESG basics : « Les produits financiers intègrent les facteurs de durabilité dans leur stratégie d'investissement au-delà de la prise en compte des risques liés à la durabilité » (art. 8)
    • Transition : « investir dans la transition en matière de durabilité des entreprises, des activités économiques ou d'autres actifs » (art. 7) avec un objectif de transition ESG mesurable
    • Sustainable : « investir dans des entreprises durables, des activités économiques durables ou d'autres actifs durables, ou contribuer à la durabilité » (art. 9) avec un objectif de contribution ESG mesurable
  • Un seuil minimum d'alignement des produits avec l’une des 3 catégories mentionnées ci-dessus est déterminé à 70%. Par exemple, pour être considéré pour la catégorie “sustainable” au moins 70% du portefeuille doit viser un objectif de durabilité. N.B. Quelques exceptions s’appliquent à cette règle, voir plus loin.
  • Une simplification des indicateurs d’impacts ou Principal Adverse Impacts (PAI). Le reporting des PAI au niveau de l’entité n’est plus obligatoire et certains PAI pour les produits ont été simplifiés pour correspondre mieux aux données accessibles.
  • Des précisions concernant les exclusions des « harmful industries » (ex : tabac, armes controversées) ainsi que des subtilités par type de produit :
    • Exclusion sur les « entreprises développant de nouveaux projets liés aux énergies fossiles » pour les catégories Transition et Sustainable
    • Exclusion sur « les entreprises développant de nouveaux projets liés au charbon » pour la catégorie ESG basics
  • Des règles concernant le greenwashing (Art. 6a) et comment communiquer sur un produit qui n’est pas dans une des 3 catégories.
  • La suppression de l’obligation de faire une analyse Do No Significant Harm (DNSH). 

« Et dans mon fonctionnement, qu’est-ce qui pourrait changer ? »

Les propositions d’amendement de cette réglementation pourraient permettre une réduction de 25% les charges de conformité, ce qui voudrait dire une économie de 163 millions d’euros surtout pour les PME européennes, selon les Echos[1].

SFDR 2.0 entraînerait des impacts opérationnels en termes de reporting, de marketing et de besoins de données. Ces changements sont :

  • Reclassification des produits actuels nécessaire, ainsi qu’une vérification du respect des seuils et des règles d’exclusion applicables.
  • Suppression du processus d’analyse DNSH, pour les acteurs qui ne l’ont pas encore mis en place et simplification de certains processus pour les acteurs l'ayant déjà mis en place tout en veillant à ne pas faire de greenwashing, ce qui permettra de réduire le temps de reporting.
  • Renforcement des méthodologies d’analyse de durabilité des produits avec des définitions plus claires des objectifs pour « Transition » et « Sustainable ».
  • Allègement du processus de reporting au niveau de l’entité (c’est-à-dire au niveau de la société ou la structure elle-même), ce qui mécaniquement augmente l’importance du travail d’analyse des responsables des produits.
  • Mise en conformité des pratiques marketing et communication (ex : KYC, onboarding avec clients) pour correspondre à l’Art 6a, relatif au greenwashing.
  • Une augmentation de la demande de données fiables, pour aligner les données des PAI avec les critères des 3 catégories d’investissements.

« Quels sont les chevauchements avec d’autres réglementations ? »

  • CSRD : Les simplifications apportées aux PAI devront s’aligner avec les simplifications prévues pour les ESRS de la CSRD afin d’harmoniser les besoins de collecte de données et notamment d’être cohérent avec les besoins de données pour les plans de transition.
  • MIFID II : Cette directive encadre la fourniture de services financiers afin d’être mieux adaptés aux profils des investisseurs. Les questionnaires que les institutions financières fournissent à leurs clients concernant leurs préférences de critères de placement devront être mis à jour pour intégrer la nouvelle classification en 3 catégories.
  • Taxonomie Verte européenne : L’alignement avec les catégories de la taxonomie verte fait intégralement partie des possibilités pour identifier les produits alignés avec les 3 catégories.

« En termes d’ambition climatique, est-ce que ces changements vont dans le bon sens ? »

Tout d’abord, nous félicitons les efforts de redéfinition de « l’investissement vert » avec des catégories plus claires. De plus, SFDR 2.0 renforce les critères d’exclusions, notamment pour les catégories « transition » et « sustainable », qui sont alignées avec ceux du Paris-Aligned Benchmark (PAB)[2]. La suppression de l’analyse DNSH pourrait donc être en partie compensée par le respect de ces exclusions. Ensuite, le plan de transition reste un indicateur clé pour SFDR 2.0 (il n’a pas été supprimé parmi les PAI) ce qui favorise l’action concrète. Ces éléments traduisent un réel effort pour lutter contre le greenwashing, explicité par l’Art 6a.

Nous souhaitons toutefois nuancer certaines propositions et souligner leurs limites :

  • La suppression du reporting à l’échelle de l’entité pourrait créer des incohérences en termes de gouvernance de la stratégie de durabilité (si les objectifs des produits diffèrent de ceux de l’entité), et ne pas fournir la transparence nécessaire aux investisseurs. Une part de responsabilité de la part des acteurs financiers pourrait aussi être perdue concernant leur gestion des impacts négatifs de leurs investissements. En pratique, nous allons suivre si les entités qui reportent déjà à l’échelle de l’entité vont continuer à le faire.
  • Les règles sur les exclusions laissent encore de la marge pour de l’investissement dans des activités non durables. Par exemple, la catégorie « ESG basics » n’est pas soumise aux règles d'exclusion des activités fossiles, contrairement aux deux autres catégories.
  • Le seuil minimum de 70% est flou sur le choix des critères. Par exemple, un fonds « transition » peut afficher 70% d’actifs considérées en « transition » (grâce à des entreprises avec des réductions annuelles d’émissions, des politiques internes climatiques ou autre) et investir librement les 30% restants. De plus, il n’est pas démontré si ce seuil de 70% est suffisamment élevé pour atténuer les risques climatiques. Enfin, une dérogation à ce seuil, dans la catégorie « transition » et « sustainable » est possible si le fonds peut justifier d’au moins 15 % d'alignement avec la taxonomie verte européenne. Pour certains actifs, comme les fonds infrastructures, atteindre 15% d’alignement avec la taxonomie est relativement facile et les 85% restants pourraient être investis dans des autoroutes ou aéroports non alignés. Cette dérogation semble non cohérente avec l'objectif de soutenir la « transition » de l'UE (selon Morningstar Sustainalytics, le taux d’alignement des sociétés non-financières à la taxonomie était d’uniquement 12,9 % en 2023)[3]. Afin de mettre en valeur à leur juste niveau les acteurs financiers bien engagés, il faudrait supprimer cette dérogation, rehausser fortement ce seuil de 15% d’alignement à la taxonomie et différencier le seuil en fonction des classes d’actifs.
  • Le périmètre de couverture de SFDR 2.0 qui n’est pas exactement aligné avec d’autres réglementations pourrait créer des zones de flou de reporting. Par exemple, MIFID II inclut les produits structurés, ce qui n’est pas le cas de SFDR 2.0.
  • La portée de l’Article 6a, qui vise à encadrer la communication des produits financiers « non classés » (dans aucune des 3 catégories) afin d’éviter le greenwashing, devient moins lisible avec l’introduction de l’Article 9a**.** L’article 9a, ouvre la possibilité pour des produits « non classés » de formuler des allégations spécifiques liées aux trois catégories SFDR 2.0, sans avoir à respecter les exigences substantielles associées à ces catégories, notamment en matière d’exclusions. Pour éviter ce flou, SFDR 2.0 devrait exiger que tout fonds faisant des allégations basées sur la catégorisation SFDR applique les exclusions des catégories concernées à tous ses actifs.
  • La catégorie « ESG basics » paraît encore très hétérogène et insuffisamment cadrée. Par exemple, un produit « ESG basics » avec une stratégie « best-in-class » sans standard minimum pourrait inclure des activités non durables.
  • L’offre des produits verts sera impactée d’une façon nuancée. Une étude de Morningstar[4] prévoit que la part des produits actuellement « Article 8 » pourrait drastiquement baisser avec ces règles SFDR 2.0 plus strictes pour les catégories « Transition » ou « Sustainable ». La majorité de ces produits se retrouveraient dans « ESG basics » ou non-classés. L’étude anticipe aussi une légère augmentation des produits actuellement « Article 9 » ou qui pourraient demain se retrouver dans la catégorie « Sustainable » ou « Transition ».
  • Les méthodologies pour se conformer à SFDR 2.0 ne sont pas encore assez explicites. Il faut continuer de renforcer les méthodologies internes relatives aux stratégies « sustainable » et de « transition », avec des définitions plus claires pour les objectifs et les indicateurs de reporting. Aujourd'hui, de nombreux acteurs financiers évaluent les plans de transition des entreprises (et cette demande est croissante) grâce à des méthodologies internes, en coordination avec des cabinets, comme Carbone 4, utilisant des indicateurs relatifs aux émissions (scopes 1, 2 et 3), aux objectifs de décarbonation alignés avec l’Accord de Paris et à la répartition des investissements (« durables », « fossiles », « grey »...). A notre sens, SFDR 2.0 devrait plus relier les critères d’éligibilité aux catégories “transition” et “sustainable” aux bonnes pratiques déjà développées par le marché, afin de rendre le reporting plus opérationnel et donc utile pour les acteurs financiers. Ceci permettra en plus de mieux mettre en valeur les acteurs qui s’engagent déjà dans le bon sens.

Et maintenant, quelle est la suite ?

A priori le trilogue peut durer 18 mois avant que  le règlement SFDR 2.0 soit adopté pour être utilisé. Nous attendons en particulier des clarifications sur plusieurs points clés du cadre SFDR 2.0, notamment la liste définitive des exclusions par catégorie, les critères claires d’éligibilité applicables à chaque catégorie, ainsi que le fonctionnement de la dérogation au seuil de 70 % en cas d’alignement d’au moins 15 % du portefeuille avec la taxonomie verte. Des précisions sont également nécessaires concernant le périmètre exact de couverture de l’obligation SFDR, les lignes directrices en matière de communication anti-greenwashing pour les produits non classés, ainsi que les méthodologies de référence à utiliser pour le reporting associé.

 


Contributrices externes : 

 


Finance
Carbone 4 Conseil
Carbon4 Finance
Auteurs & autrices
Portrait de Christina Stuart
Christina Stuart
Responsable de Carbone 4 Luxembourg
Portrait de Lucile Brand
Lucile Brand
Manager