article
·
2 décembre 2025
Auteurs et autrices : Mélodie Pitre, Brunehilde Senellart de Vriere

Nouvelle proposition de mise à jour SBTi : plus d'opérationnalité mais moins de rigueur ?

Analyse de la proposition de la SBTi

La Science Based Targets initiative (SBTi) a publié le mois dernier la deuxième version de son draft pour la future révision du standard. Cette mise à jour était très attendue, tant par les entreprises déjà engagées dans le référentiel SBTi que par les entreprises qui cherchent à construire ou faire valider leur stratégie climat. Le nouveau texte enfonce un peu plus la SBTi dans une vision étriquée de la transition climatique : plus flexible, orientée vers certains leviers d’action, mais aussi potentiellement moins holistique. 

Cet article propose une analyse factuelle des principaux changements, en mettant en lumière les limites afin de structurer un débat, et de fournir des premières clés de lecture pour les entreprises.

Un tournant méthodologique : vers une logique en intensité carbone et par activité

La philosophie générale du draft v2 repose désormais sur une vision par activités, plutôt que sur une approche scientifique basée sur le respect des budgets carbone fournis par le GIEC. A titre d’exemple, le standard propose pour les activités de transport de marchandises, de se fixer des objectifs en intensité pour chacun des modes de transport (aérien, maritime, routier, ferroviaire), effaçant de facto le levier essentiel qu’est le report modal. Cette évolution vise à rendre plus opérationnel le standard en étudiant les actions concrètes par activité. Cependant, elle omet le fait qu’un scénario bas-carbone à 2050, quel qu’il soit, n’est pas le reflet à l’identique dans leurs poids relatifs des activités d’aujourd’hui en version bas-carbone. Pour reprendre l’exemple du transport, en regardant de façon segmentée le transport aérien et le transport maritime, la proposition de la SBTi occulte de fait un des principaux leviers d’action, qui est le report du premier vers le second.

La nécessaire transition climatique nous invite à repenser les activités humaines et à prioriser certaines activités au détriment d’autres. Cette réflexion doit être au cœur d’une stratégie climat si elle veut être pertinente. Les travaux d’IF initiative financés par un panel d’entreprises visent justement à impliquer les acteurs privés dans la réflexion sur différents scénarios climatiques impliquant des activités humaines aux évolutions contrastées. Cela permet in fine aux entreprises d’anticiper leur rôle et leur contribution potentielle dans ces différents futurs.

Par ailleurs, dans cette proposition de la SBTi, les entreprises sont invitées à prendre des objectifs en intensité (ou autre type d’objectifs qui reviennent in fine à une approche en intensité). La SBTi fait fi des réflexions sur le volume total d’émissions tant que l’intensité carbone des activités respecte certains critères. Or, la science nous dit que ce qui provoque les changements de notre climat ce sont précisément les volumes totaux de gaz à effet de serre stockés dans l’atmosphère, nécessitant pour la société d’adopter une vision de budget carbone, qui est peu représentée dans cette dernière version du SBTi.

Le raisonnement en intensité est une porte ouverte à l’effet rebond : l’histoire nous montre que les progrès en intensité énergétique se transmettent toujours en hausse des volumes qui annihilent les progrès en intensité.

Scope 1 : plus de granularité, moins de contrainte absolue

Le nouveau draft propose une approche très détaillée pour le scope 1, en distinguant différents types d’activités et en intégrant des objectifs par levier d’action. Parmi les nouveautés :

Trois méthodes possibles :

Indicateurs d’émissions en absolu ou en intensité

  • (Nouveau) Indicateurs d’alignement
    • Il n’y a plus de suivi des émissions de CO2e mais des % des activités à faible émissions[1]
    • Exemple : % d’électrification de la flotte de véhicules électriques
  • (Nouveau) Décarbonation des actifs par respect d’un budget carbone
    • Permet de suivre des réductions non linéaires mais par paliers
    • Exemple : une centrale charbon qu’on prévoit de convertir à la biomasse. Les émissions sont réduites significativement l’année de la conversion (on parle ici de parlier). La date de la conversion doit être fixée pour garantir que les émissions cumulées jusqu’en 2050 respectent bien le budget carbone défini par la SBTi.

Nous saluons l’approche par budget carbone pour les actifs qui se décarbonent par palier qui permet de s’approcher de la réalité opérationnelle de la décarbonation de certains actifs.

Cependant, si l’approche par alignement permet de s’abstenir des problématiques de comptabilité du carbone, et si elle permet de guider les entreprises sur certaines actions, elle n’invite plus les entreprises à étudier le volume d’énergie consommée mais uniquement la nature de cette énergie. Cela restreint significativement l’étendue des leviers de décarbonation.

Scope 2 : montée en puissance des Garanties d’Origine, impensé de la sobriété énergétique

Pour l’électricité, le SBTi : 

  • rend optionnelle l’atteinte d’objectifs exprimés en tCO2e, qu’ils soient modélisés en approche location-based ou market-based
  • impose désormais un pourcentage d’électricité “bas-carbone” (≤ 0,024 kg CO₂/kWh) ; qui doit croître linéairement jusqu’à atteindre 100% en 2040.

Cette réorientation encourage fortement le recours aux GOs et occulte la réflexion sur la sobriété énergétique ou la réduction de la consommation.

Toutefois, des garde-fous existent : critères spatiaux stricts, exclusion possible de zones sans système de GOs, et introduction progressive d’une cohérence horaire entre 2030 et 2040.

Cette approche, qui pourrait faciliter la montée en puissance du marché des GOs, est en ligne avec les recommandations de Carbone 4. Nous accompagnons opérationnellement plusieurs entreprises dans la mise en œuvre d’une stratégie d’achats de GOs pertinentes et impactantes.

Cependant, tout comme pour le scope 1, si la réduction de l’intensité carbone est un enjeu central, elle doit être complétée d’une maîtrise voire d’une réduction des consommations d’énergie. Avec le développement de nouveaux usages électriques (transport électrique, électrification de l’industrie, nouveaux usages numériques…), la compétition pour l’accès à une électricité bas carbone sera croissante, nécessitant une réelle réflexion sur la sobriété et les priorités d’accès à cette ressource.

Scope 3 : généralisation des objectifs en intensité 

Le scope 3 fait l’objet de changements majeurs. Le SBTi v2 propose : 

Une approche segmentée autour d’activités considérées comme intensives (ex: ciment, acier, transport aérien, transport routier, bâtiment…)

La généralisation d’objectifs en intensité, avec quatre grandes méthodes possibles : 

  • objectif d’intensité moyenne de l’activité ou catégorie;
  • objectif de taux d’alignement de l’activité par rapport à l’intensité définie;
  • alignement des fournisseurs ou des usagers finaux ;
  • objectif en pourcentage d’énergie bas-carbone consommée par les fournisseurs de la chaine de valeur et/ou par les usagers finaux ; le recul des objectifs en absolu, relégués en dernière option ;

Cette approche encourage la décarbonation relative (par unité produite, transportée ou vendue) plutôt qu’une réduction absolue des émissions. Elle ne garantit en rien une baisse des émissions en valeur absolue.

Enfin, le SBTi autorise quelques exclusions sur le périmètre d’engagement : produits d’occasion, mobilité domicile-travail, certaines catégories d’actifs, franchises non contrôlées…

Garanties d’Origine : une place centrale, mais un risque de dépendance

Le draft v2 intègre les GOs comme un élément majeur de réduction des émissions, pour les scopes 2 et 3. Deux types de GOs sont reconnus : 

  • celles consommées par les fournisseurs, qui peuvent être prises en compte dans les émissions indirectes de l’entreprise ;
  • celles mises en place par les fournisseurs, ouvrant potentiellement la voie à des systèmes de Book & Claim[2] reconnus. 

Cette orientation pourrait dynamiser le marché, à condition que les critères d’éligibilité soient stricts et que la fiabilité des certificats soit assurée. 

Si la définition de critères stricts est possible, l’assurance de la fiabilité des certificats l’est nettement moins, notamment dans un contexte international qui n’est pas toujours favorable à la mise en place de solutions décarbonantes. Précisons également, que la mise en place d’un tel système – en pratique très complexe - pour toutes les commodités, dites intensives, risque de nécessiter des ressources financières et humaines  conséquentes, avec des impacts variés et complexes, tout en impliquant un certain temps de mise en œuvre.

Exemples d’objectifs possibles pour un fabriquant de produits électroménagers grand public

 

Analyse générale : quels enjeux derrière ces évolutions ? 

 

Quelles sont les limites identifiées par cette nouvelle proposition SBTi ?

  1. Un recul de la rigueur scientifique

    Le passage d’une approche en budget carbone absolu à une logique en intensité porte un risque conséquent sur le maintien de notre trajectoire carbone globale.

  2. Un manque de vision holistique 

    La SBTi a voulu pousser une approche plus opérationnelle mais a fait une sélection de leviers d’actions qui ne permet pas de penser et encore moins de préparer les changements structurels de notre société et des modèles d’affaires.

  3. Une dépendance accrue aux Garanties d’Origine

    Elles deviennent un pilier des trajectoires. La pertinence de cette démarche reposera grandement sur la capacité à mettre en œuvre des critères d’éligibilité, à vérifier leur application et à assurer le développement de volumes suffisants d’électricité bas-carbone.

  4. Une architecture complexe laborieuse à mettre en oeuvre

    En décomposant par activité dites intensives et en voulant aller à l’échelle de certaines actions, la préparation de la validation SBTi devrait devenir plus laborieuse.

Points positifs et opportunités

  1. Une méthodologie plus flexible pour les entreprises hésitantes

    Cette flexibilité pourrait relancer les engagements ou resoumissions SBTi, aujourd’hui en ralentissement.

  2. Un possible développement des marchés des EAC[3]ƒs plus fiables

    Avec des critères stricts, cela pourrait encourager le développement des énergies et des commodités bas-carbone.

  3. Une approche pragmatique en réponse aux difficultés rencontrées par les entreprises 

    Le SBTi semble vouloir fournir des outils de pilotage plus concrets, adaptés aux réalités opérationnelles. 

Prochaines étapes : quelle suite pour la SBTi et pour les entreprises ?

  • Consultation ouverte jusqu’au 12 décembre.
  • Révision de la proposition sur la base des retours.
  • Publication finale attendue courant 2026.

Carbone 4 continue d’analyser le projet de révision dans le détail et en anticipant les conséquences pour les entreprises de divers secteurs. N’hésitez pas à nous contacter pour avoir un décryptage et des recommandations personnalisées à vos propres enjeux.

 

L’approche Net Zero Initiative de Carbone 4 pour les entreprises reste encore et toujours un cadre méthodologique robuste scientifiquement et exigeante vis à vis de l’ampleur des efforts à fournir, pour guider les entreprises dans la maitrise de leurs impacts environnementaux et dans la contribution à la neutralité carbone planétaire.


SBTi
Auteurs & autrices
Portrait de Mélodie Pitre
Mélodie Pitre
Manager
Portrait de Brunehilde Senellart de Vriere
Brunehilde Senellart de Vriere
Consultante